Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/432

Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
UN RENARD

lié, m’avait appris à aimer et à protéger les faibles ; et je passais de longues heures à écouter ses leçons. La vertu n’avait pas seulement en lui un admirateur passionné, mais encore un disciple fervent ; et la première fois que je le vis mettre sa théorie en pratique, ce fut pour me sauver la vie. Le garde champêtre le plus sot qui soit dans le royaume me surprit dans la vigne de son maître, un jour que la chaleur accablante m’y avait fait chercher un abri et un raisin. Je fus ignominieusement arrêté et conduit devant le propriétaire, revêtu d’une haute dignité municipale et dont l’attitude redoutable n’était pas faite pour calmer mon appréhension.

Cependant, Monsieur, cet être fort et superbe était en même temps le meilleur des Animaux ; il me pardonna, m’admit à sa table, et me nourrit de leçons de sagesse et de morale, qu’il avait puisées dans les plus grands auteurs, indépendamment d’autres aliments qu’il se plaisait à me fournir avec abondance.

Je lui dois tout, Monsieur, la sensibilité de mon cœur, la culture de mon esprit et jusqu’au bonheur de pouvoir converser aujourd’hui avec vous. Hélas ! je n’avais pas encore trouvé jusqu’ici qu’il eût acquis des droits à ma reconnaissance en me laissant la vie. Mais passons. Une foule de chagrins et de déboires, sur lesquels je ne m’appesantirai pas, car ils ne seraient pour vous d’aucun intérêt, ont marqué chaque époque de mon existence, jusqu’au jour fatal et charmant où, comme Roméo, je