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L’OURS.

de briser son existence. L’infortuné B… ne vit plus d’autre ressource que d’aller mourir sur une terre étrangère. Quelle haute leçon pour moi, pauvre poëte mal léché ! Aussi je ne souhaitai plus qu’une chose : c’était d’être enfin rendu à la liberté, et de pouvoir mettre à profit ce que j’avais vu parmi les Hommes.

Le temps de ma délivrance arriva plus tôt que je n’avais osé l’espérer. Au premier bruit de l’insurrection de la Grèce, lord B… résolut d’aller chercher un brillant tombeau sur la terre des Hellènes. Quelques jours avant son départ, il voulut faire une dernière apparition à Londres. Il profita de la représentation d’une tragédie de Shakspeare, intitulé Hamlet, sa pièce favorite, pour se montrer encore au public anglais. Le jour de la représentation, nous nous rendîmes au théâtre en calèche découverte. La salle était pleine au moment où nous parûmes dans une loge qui faisait face à la scène. En un instant, tous les regards, tous les lorgnons furent fixés sur nous. Les dames se penchaient sur le devant des loges, comme des fleurs suspendues aux fentes des rochers. Même après le lever de la toile, l’attention fut longtemps partagée entre Shakspeare et nous. Ce ne fut qu’à l’apparition d’un fantôme, qui joue un grand rôle dans la tragédie d’Hamlet, que les regards se reportèrent vers la scène. Cette tragédie, en effet, était de nature à familiariser les spectateurs avec notre présence. Tout le monde y devient fou ou à peu près. Le résultat de cette représentation extraordinaire