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L’OURS.

les voyages, qu’un chansonnier contemporain appelle vie enivrante, ne sont le plus souvent qu’une continuelle fatigue d’esprit et de corps, et je compris pourquoi les charmes de la déesse Calypso n’avait pu empêcher Ulysse de retourner dans sa pauvre et chère Ithaque et de revoir la fumée du toit de son palais.

 
Vivite felices, quibus est fortuna peracta !
Vobis parta quies, nobis maris æquor arandum.


Nous nous embarquâmes à Bayonne, sur un navire qui faisait voile pour les îles Britanniques. Je passai deux ans avec lord B…, dans un château qu’il possédait en Écosse. Les réflexions que je fus à même de faire dans la société d’un Homme à la fois misanthrope et poëte achevèrent de déterminer dans ma tête le plan de vie dont je ne me suis jamais écarté depuis que j’ai recouvré ma liberté. Je m’étais déjà guéri de la maladie d’esprit qui m’avait jeté dans la vie solitaire ; mais il m’en restait une autre qui n’était pas moins dangereuse, et qui aurait pu me faire perdre tôt ou tard tout le fruit de mes malheurs et de mon expérience. Entraîné par ce besoin d’épanchement qui nous porte à communiquer aux autres nos ennuis et nos inquiétudes, j’avais conservé la manie de composer des vers. Mais, hélas ! il n’a été donné qu’à un petit nombre d’âmes de réunir l’enthousiasme et le calme, de n’arrêter leurs regards que sur de belles proportions