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L’OURS.

chaise de poste s’arrêta devant notre auberge. La chaise était attelée de quatre Chevaux et contenait un voyageur qui me parut appartenir à la haute société. En effet, comme je l’appris bientôt, ce voyageur était un poëte anglais, nomme lord B…, célèbre alors dans toute l’Europe. Il revenait de l’Orient, où il avait fait un voyage d’artiste. Il descendit pour prendre quelque nourriture. Pendant son repas, il me sembla que j’étais l’objet de sa conversation avec mon maître. Je ne m’étais pas trompé. Lord B… donna quelques pièces d’or à l’aubergiste, qui vint à moi, me détacha de l’arbre, et, avec l’assistance du postillon, me fit monter dans la chaise de poste. Je n’étais pas encore revenu de ma surprise, que déjà nous étions loin de la vallée où j’avais passé des jours si heureux et si utiles.

J’ai remarqué que tout changement dans ma manière de vivre me remplissait d’un trouble pénible, et l’expérience m’a convaincu que le fond du bonheur consiste dans la monotonie et dans les habitudes qui ramènent les mêmes sentiments. Je ne saurais peindre la détresse de cœur que j’éprouvais en voyant disparaître derrière moi les lieux qui m’avaient vu naître. Adieu, disais-je en moi-même, adieu, ô mes chères montagnes !

Que n’ai-je, en vous perdant, perdu le souvenir !

Je sentis que l’instinct de la Patrie est immortel, que