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L’OURS.

orgueil, en me supposant la force de vivre indifférent à toutes les choses extérieures. Qu’y avait-il, en effet, de changé dans ma position ? La vaste étendue du ciel, l’aspect imposant des montagnes, l’éclat radieux du soleil, la clarté de la lune et son brillant cortége d’étoiles, tout cela était encore à moi. D’où venait donc que je ne voyais plus du même œil ces beautés naturelles qui naguère semblaient suffire à mes désirs ? Je fus forcé de m’avouer qu’au fond du cœur, je n’avais jamais renoncé à ce monde que j’avais boudé, et que, si j’avais pu en vivre éloigné pendant quelques années, c’est que je n’avais jamais cessé de me sentir libre d’y retourner quand je voudrais.

Je passais plusieurs jours dans la stupeur et dans l’abattement du désespoir. Cependant l’aveu que je m’étais fait intérieurement de ma faiblesse contribua à ouvrir mon âme à la résignation. La résignation à son tour ramena l’espérance, et peu à peu j’éprouvai un calme que je n’avais jamais connu. D’ailleurs, si quelque chose pouvait consoler de la perte de la liberté, j’aurais presque oublié ma servitude dans les douceurs de ma vie nouvelle ; car mon maître me traitait avec toutes sortes d’égards. J’étais le commensal du logis ; je passais la nuit dans une étable auprès de quelques autres Animaux d’un caractère pacifique et très-sociable. Le jour, assis sous un platane, à la porte de la maison, je voyais aller et venir les enfants de mon maître, qui me témoignaient beau-