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L’OURS.

mon dessein. Je n’avais point fait une demi-lieue, lorsqu’au fond d’une gorge étroite, j’entendis plusieurs voix s’écrier : Un Ours ! un Ours ! Au moment où je m’arrêtais pour distinguer d’où partaient ces accents inconnus, je tombe frappé par une main invisible. Pendant que je me roulais sur la terre, quatre énormes Chiens, suivis de trois Hommes, se précipitèrent sur moi. Malgré la douleur que me causait ma blessure, je luttai longtemps contre les Chiens, mais à la fin je tombai sans connaissance sous la dent de ces cruels Animaux.

Quand je revins de mon évanouissement, je me trouvai attaché à un arbre, avec une corde passée dans un anneau dont on m’avait orné le bout du nez. Cet arbre ombrageait la porte d’une maison située sur une grande route, mais toujours au milieu des montagnes. Tout ce qui m’était arrivé me semblait un songe, songe, hélas ! de courte durée ! Mon malheur ne tarda pas à m’apparaître dans sa triste réalité. Je ne compris que trop que, si j’avais conservé la vie, c’en était fait de ma liberté, et qu’au moyen de l’anneau fatal qu’on m’avait, je ne sais comment, passé dans la narine, l’être le plus faible de la création pouvait m’asservir à ses volontés et à ses caprices. Oh ! qu’Homère a bien raison de dire que celui qui perd sa liberté perd la moitié de son âme ! Le retour que je faisais sur moi-même redoublait l’humiliation que me causait ma servitude. C’est alors que je reconnus, mieux que jamais, jusqu’à quel point j’avais été la dupe de mon