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LES AVENTURES

Je le suivis à tire-d’aile.

Jamais course ne fut plus vagabonde, jamais essor ne fut plus impétueux ; il semblait que la terre entière lui appartint, que toutes les fleurs fussent ses fleurs, que la lumière fût sa lumière, et que la création eût été faite pour lui seul. Cet enivrement fut tel, et cette entrée dans la vie, si furieuse, que je craignis que les trésors de sa jeunesse ne pussent suffire à des élans si démesurés.

Mais bientôt sa trompe capricieuse délaissa ces prés d’abord tant aimés, dédaigna ces campagnes déjà trop connues. L’ennui vint, et contre ce mal des riches et des heureux, toutes les joies de l’espace, toutes les fêtes de la nature furent impuissantes. Je le vis alors rechercher de préférence la plante chérie d’Homère et de Platon, l’Asphodèle, symbole des pâles rêveries. Il restait des minutes entières sur le Lichen sans fleurs des rochers arides, les ailes rabattues, n’ayant d’autre sentiment que celui de la satiété ; et plus d’une fois j’eus à l’éloigner des feuilles livides et sombres de la Belladone et de la Ciguë.

Il revint un soir très-agité, et me confia avec émotion qu’il avait rencontré sur un Souci des champs un Papillon fort aimable, nouvellement arrivé de pays lointains, desquels il lui avait raconté des merveilles.

L’amour de l’inconnu l’avait saisi.

On l’a dit[1] : qui n’a pas quelque douleur à distraire ou quelque joug à secouer ?

  1. G. Sand