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D’UN CROCODILE.

vèrent une heureuse physionomie ; les autres prétendirent que j’étais fort laid ; tous que j’avais un faux air de ressemblance avec leur ami. Les insolents ! avec quel plaisir j’aurais mangé un suprême de dandy ! « Pourquoi vous amusez-vous à héberger ce monstre ? dit un vieillard sans dent, qui, certes, méritait mieux que moi l’injurieuse qualification. À votre place, je le ferais tuer et accommoder par mon cuisinier. On m’a assuré que la chair du Crocodile était très-recherchée par certaines peuplades africaines. »

« — Ma foi ! dit mon patron, l’idée est originale ! Chef, tu nous prépareras demain des filets de Crocodile. »

« Tous les parasites battirent des mains ; le chef s’inclina ; je frémis au fond de mon âme et de mon bassin. Après une nuit terrible, une nuit de condamné à mort, les premières clartés du soleil me montrèrent l’odieux cuisinier aiguisant un énorme coutelas pour m’en percer les entrailles ! Il s’approcha de moi, escorté de deux estafiers, et pendant que l’un détachait ma chaîne, l’autre m’asséna vingt-deux coups de bâton sur le crâne. C’était fait de moi, si un bruit soudain n’avait attiré l’attention de mes bourreaux. Je vis mon patron se débattre entre quatre inconnus de mauvaise mine, dont l’un tenait une montre à la main : cinq heures venaient de sonner. J’entendis crier : « À Clichy ! » Et une voiture roula sur le pavé. Sans en demander davantage, et profitant de la perturbation générale, je sautai hors de mon bassin, traversai rapidement