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MÉMOIRES

esclavage en faisant saisir la ménagerie dont je formais le plus bel ornement ; tous les autres Animaux étaient empaillés. Deux jours après, il me transmit, au lieu d’argent comptant, à un viveur qu’il aidait à se ruiner. Je fus casé dans un large bassin, à la maison de campagne de mon nouveau patron, et nourri des reliefs de ses festins. J’appris par les propos des domestiques, ennemis intérieurs heureusement inconnus chez les Sauriens, que mon maître était un jeune Homme de quarante-cinq ans, gastronome distingué, possesseur de vingt-cinq mille livres de rentes, ce qui, grâce à la bonhomie des fournisseurs, lui permettait d’en dépenser deux cent mille. Il avait éludé le mariage, qui, selon lui, n’était obligatoire qu’au dénoûment des vaudevilles, et s’appliquait uniquement à mener joyeuse vie. Au physique, il n’avait de remarquable que son ventre qui, certes, était la partie la plus saillante de sa personne. Il tenait table ouverte, quoiqu’il dinât quelquefois au restaurant à cinquante francs par bouche. Il ne dédaignait même pas, pour varier ses plaisirs, de faire des excursions à la Courtille ; et plus d’une fois, sortant d’un bal masqué dans un état d’ivresse, M. de ***, duc et pair, fut appréhendé au corps par la patrouille, au grand scandale des gens du quartier, qui étaient loin de reconnaître, sous de grossiers travestissements, l’élite de la société parisienne.

« Un soir d’été, après boire, mon possesseur vint me rendre visite avec une société nombreuse ; les uns me trou-