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D’UN CROCODILE.

tant d’attraits, et rompis des nœuds qui menaçaient de m’attacher à jamais.

« Je me contentai, durant plusieurs années, de la chair des quadrupèdes et des habitants du fleuve. Je n’osais suivre l’exemple des vieux Crocodiles, et déclarer la guerre aux Hommes ; mais, un jour, le shérif de Ramanieh passa près de ma retraite, et je l’entraînai sous les eaux avant que ses serviteurs eussent le temps de détourner la tête. Il était tendre, succulent, comme doit l’être tout dignitaire grassement payé pour ne rien faire. Il est dans les parages que j’habite aujourd’hui de hauts et puissants seigneurs dont je souperais volontiers.

« Depuis cette époque, je dédaignai les Bêtes pour les Hommes ; ces derniers valent mieux… comme comestible, et ce sont d’ailleurs nos ennemis naturels. Je ne tardai pas à acquérir parmi mes confrères une haute réputation d’audace et de sybaritisme. J’étais le roi de toutes leurs fêtes, le président de tous leurs banquets ; les bords du Nil furent souvent témoins de nos réunions gastronomiques, et retentirent du bruit de nos chansons :

Amis, à bien manger le sage met sa gloire ;
Prolongeons nos festins sous le ciel d’Orient,
Et broyons sans pitié d’une forte mâchoire
L’infidèle et le vrai croyant.

L’Homme prétend régner sur la race amphibie ;
Il croit les Sauriens de ses lois dépendants,