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D’UN LIÈVRE.

contre lui des instincts si pervers, qu’on a vu le frère s’armer contre le frère ( est-on moins frères parce qu’on se bat ?). Il a des prisons, des tribunaux, des maladies et une pauvre peau fine qu’une épine de rose met en sang et de laquelle il ne saurait être fier. Il a la pauvreté, cette plaie inconnue aux Lièvres, qui sont tous égaux devant le soleil et le serpolet, et, comme l’a dit Homère, il y a des hommes qui se promènent en mendiant sur la terre fertile.

« Mais la destinée du Lièvre est-elle meilleure ? Quand je réfléchis que ce n’est qu’à forces égales que les droits sont égaux, et qu’avec la crainte des hommes, des meutes et de la poudre à canon, un honnête Lièvre n’est pas encore sûr de faire son chemin dans le monde, je n’hésite pas à déclarer que le bonheur est impossible. Puisque tout le monde demande où il est, c’est qu’il n’est nulle part : car enfin, comme dit Augustin : « Si le mal n’existe pas, il existe au moins la crainte du mal, laquelle, certes, n’est pas un bien. » Le grand point, ce n’est donc pas d’être heureux, c’est de fuir le mal…

« Maintenant, ajouta-t-il, ma chère Pie, j’ai fini.

« Grand merci de l’attention que vous m’avez prêtée. C’est un mérite de savoir écouter. Jusqu’à présent, les Pies n’en ont pas eu le privilège, me dit-il un peu malignement. Conservez ce manuscrit, dont je vous laisse dépositaire, et quand ces pauvres petits auront passé l’âge où l’on joue, quand je serai mort, ce qui ne peut tarder, vous livrerez ces Mémoires à la publicité.