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HISTOIRE

« Les Hommes seuls, chez qui cette bizarre manie d’être heureux est poussée jusqu’à la folie, persistent à se croire sérieusement destinés à résoudre, à leur profit, le problème du bonheur. Leurs philosophes, dont le métier consiste à chercher le sens de cette énigme, ont tous cherché en vain, puisqu’ils cherchent encore. — Les uns, pleins de leur propre mérite, placent naïvement le bonheur dans l’amour de soi-même ; les autres, plus humbles, regardent le ciel et le demandent à Dieu seul, comme si Dieu le leur devait. — Ceux-ci vous disent, fût-on pauvre et repoussé comme Job : Ne te refuse rien ! et ils prêchent d’exemple, parce qu’ils le peuvent ; ceux-là veulent qu’on s’abstienne, et ils ne s’abstiennent pas. — Les plus opiniâtres se contentent d’espérer jusqu’à leurs dernier jour qu’ils seront heureux… demain ; mais la plupart conviennent, avec Shakspeare, qu’il vaudrait mieux n’être pas né.

« Qu’en faut-il conclure ? sinon que le bonheur n’est pas de ce monde, que ce mot est tout simplement un mot de trop dans toutes les langues, et qu’il est absurde de courir après une chose que personne ne trouve, et dont, à tout prendre, il est facile de se passer, puisque, bon gré mal gré, tout le monde s’en passe.

« Pour ma part, je doute encore qu’il faille bénir le Ciel de nous avoir fait naître dans une condition animale, et que la différence soit grande entre le Lièvre et l’Homme au point de vue du bien-être.

« Sans doute l’Homme est inhabile au bonheur ; il a