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HISTOIRE

devenir habile, car l’habileté consiste à tirer parti des circonstances et à exploiter son prochain.

Notre vie était très-régulière : de bonne heure le père allait à son bureau et le fils à l’école. Je restais seul à garder notre chambre, où je me serais fort ennuyé peut-être si, après les fatigues de ma vie des Champs-Élysées, le repos ne m’eût paru très-bon : le calme est le bonheur de ceux qui ne sont pas heureux. Après le travail de la journée, le repas nous réunissait. Nous vivions de bien peu. Je me rapelle que j’appréhendais d’avoir faim : les riches ne font que donner, mais les pauvres partagent ; et je prenais à regret ma part du pain de mon bon maître. Sans la pauvreté, cette existence eût été supportable ; mais souvent j’avais le chagrin de voir mon excellent maître revenir très-agité.

— Mon Dieu ! répétait-il avec amertume, on parle encore d’un changement de ministère, si je perdais ma place, que deviendrions-nous ? nous n’avons point d’argent. — Pauvre père, dsait l’enfant dont les yeux se remplissaient toujours de larmes à cette nouvelle ; quand je serai grand, j’en gagnerai de l’argent ! — Tu n’es pas grand encore, lui répondait mon maître.

— Va voir le roi, lui dit une fois son fils, et dis-lui de te donner de l’argent, puisqu’il en a.

— Mon cher enfant, lui dit le vieillard en relevant la tête, il n’y a que les mendiants qui vivent de leurs maux ; d’ailleurs il paraît que le roi n’est pas si riche qu’il en a