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D’UN LIÈVRE.

je ressentais pour un Homme, je l’avoue que, malgré mon amour pour la liberté, je me laissai emporter par celui-ci sans résistance.

Mon nouveau maître, ou plutôt mon ami, car il fut plutôt mon ami que mon maître, était bon, silencieux, modeste, employé subalterne dans un ministère, et par conséquent fort pauvre. Il était voûté, moins par l’âge que par l’habitude qu’il avait dû contracter de saluer tout le monde, de ne jamais relever la tête devant ses supérieurs, et d’écrire du matin au soir. Après son fils, qui lui ressemblait en tout, ce qu’il aimait le plus au monde, c’était ce qu’il appelait son jardin, un peu de terre et quelques fleurs qui s’épanouissaient de leur mieux sur notre petite fenêtre, à laquelle le soleil daignait à peine envoyer quelques pâles rayons : à Paris le soleil ne luit pas pour toutes les fenêtres.

— Mon cher monsieur, lui disait quelquefois un de nos voisins, qui, plus heureux que moi, s’était enrichi à jouer la comédie, vous n’arriverez jamais à rien, vous ne faites pas assez de bruit et vous êtes trop modeste ; croyez-moi, défaites-vous de ces défauts-là. Quelque rôle qu’on joue dans le monde, il faut un peu brûler les planches. Que diable ! j’ai été modeste comme vous, mais ce qui me dégoûte de la modestie, c’est qu’on est toujours pris au mot ; faites comme moi, grossissez votre voix, remuez les bras, et vous deviendrez chef d’emploi. Habileté n’est pas vice.

Hélas ! on conseille le pauvre plutôt qu’on ne le secourt, et mon cher maître aimait mieux demeurer pauvre que de