Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.
49
D’UN LIÈVRE.

n’ont pas de fin quand on a peur. Le lendemain 28, la fusillade recommença de plus belle, et je sus qu’on avait pris et repris l’Hôtel de Ville. J’en aurais fait mon deuil si j’avais pu m’en aller comme la cour, mais il n’y fallait pas songer. Le 29, dès le matin, des cris furieux se firent entendre sous les fenêtres du château, le canon tonnait. — C’en est fait ! s’écria ma maitresse, pâle d’effroi, le Louvre est pris ; et, emportant dans ses bras sa fille qui pleurait, elle s’enfuit éperdue : il était onze heures.

Quand elle fut partie, je réfléchis qu’à la vérité j’étais seul et sans défense, mais aussi que j’étais sans ennemis, et le courage me revint. Que les Hommes s’entr’égorgent, pensais-je, c’est leur affaire, les Lièvres n’y perdront rien. La chambre sous le lit de laquelle j’étais parvenu à me retrancher fut occupée pendant quelques heures par des soldats rouges qui tirèrent par la fenêtre un bon nombre de coups de fusil, en criant avec un accent étranger : Vive le roi ! Criez, leur disais-je, criez, on voit bien que vous n’êtes pas des Lièvres, et que ce roi n’a pas été à la chasse dans vos villes. Bientôt je ne vis plus de soldats, ils avaient disparu : un pauvre homme, un sage sans doute, qui semblait n’avoir aucun goût pour la guerre, vint se réfugier dans ma retraite abandonnée, et se cacha philosophiquement dans une armoire, où il fut bientôt découvert et bafoué par des gens qui remplirent en un instant la chambre. Ceux-là n’avaient pas d’uniforme, leur toilette étaient même négligée. Ils fouillèrent partout en criant : Vive la liberté !