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SENEUIL


HS — COURCELLE-SENEUIL


classait ses observations dans son cerveau, et n’employait pas, dans les démonstrations scientifiques ces détails pittoresques qui at- tirent les esprits superficiels et paraissent donner un cachet d’authenticité à une des- cription ou à une analyse de faits.

Et pourtant, au milieu des travaux les plus divers, il poussa très loin l’observation, ne la limitant pas à des catégories étroites de causes et embrassant avec son esprit philo- sophique, et autant que le permettait alors l’état de la science, l’ensemble des phéno- mènes sociaux. Le cours qu’il fit à l’univer- sité de Santiago, et qu’il publia plus tard sous le titre de Traité d’Economie Politique en est la preuve. On y trouve peu de dévelop- pements littéraires mais une méthode rigou- reuse dans le groupement des théorèmes économiques. Frappé de la confusion qui régnait parfois dans les ouvrages didacti- ques, il s’efforça de faire pour la science économique ce qu’on avait fait depuis le xviii« siècle pour les sciences physiques et naturelles  : il sépara la théorie de l’appli- cation — besogne assurément fort difticile en ces matières. Ce nouvel arrangement dans l’exposé des doctrines économiques n’était pas de nature à lui attirer les lecteurs d’ins- truction moyenne. Il entrait dans l’économie politique par un exposé qui touchait en quelque sorte à la science sociale tout entière et continuait par la recherche purement scientifique des lois naturelles qui régissent la vie économique de l’humanité. La tentative était audacieuse et digne d’un esprit de cet ordre  ; elle offre certainement des avantages à tous ceux qui s’attachent à l’examen scien- tifique des idées et qui ne cherchent pas un roman dans un livre d’économie politique.

Il a été de bon ton, en ces dernières an- nées, de reprocher aux économistes français, ou à ce que l’on désigne avec fort peu de précision, à notre avis, par cette formule vague, l’école française, une sorte d’engour- dissement classique qui les tiendrait prison- niers de doctrines surannées dans lesquelles ils se trouveraient dogmatiquement claque- murés. La critique est fausse et injuste en ce qui regarde des écrivains, notamment comme M. de Molinari, dont la plume infatigable continue de nous donner de si remarquables travaux, et comme Courcelle-Seneuil.

Bien avant que les théories de l’évolution fussent à la portée des gons du monde, alors qu’on n’avait point encore vulgarisé ces idées chez les lettrés, Courcelle-Seneuil, dès la première édition de son Traité, indiquait l’origine et les modifications de l’appropria- tion des richesses comme relevant de modi- fications successives accomplies lentement à


travers les siècles dans les mœurs et l’esprit des hommes. Il n’ignorait pas que la science est en perpétuel progrès, et montrait bien qu’il tenait compte de ce mouvement puis- que ses ouvrages ont été non des ouvrages de vulgarisation, mais des œuvres de re- cherche.

A cet égard il se rattache à Tiirgot. Mais il a, d’un autre côté, avec l’auteur du Discours en Surbonyie sur le Progrès un autre point commun.

En France, pour des raisons historiques qu’il serait trop long d’exposer ici, les pré- curseurs des économistes et, plus tard, les économistes eux-mêmes se sont plus spécialement occupés du rôle et des attri- butions de l’État, bien qu’ils fussent parti- sans de diminuer et de limiter l’action du gouvernement. A rencontre des économistes anglais, qu’un milieu différent poussait aux études d’économie industrielle, chez nous, les questions financières et d’organisation administrative tinrent une place très grande dans les préoccupations des écrivains écono- miques. Les physiocrates cherchèrent le meilleur impôt, et Turgot, aussi bien dans son intendance du Limousin qu’au ministère, s’appliqua constamment à améliorer les ser- vices, si mauvais alors, de l’administration. Courcelle-Seneuil, qui fit son premier cours devant des étudiants en droit (uni- versité de Santiago), devait être amené, et par cette occasion, et par ses études an- térieures, à s’occuper des attributions du gouvernement, et, par voie de conséquence, des principes fondamentaux du Droit pu- blic. Revenu en France, il publiait, après la guerre 1870-71, une étude sur la décentra- lisation administrative, l’Héritage de la Révo- lution, dans laquelle il établissait, avec une grande rigueur, les règles de gouverne- ment d’un pays libre. Sa tentative, est-il be- soin de le dire, n’eut pas d’écho dans un pays où règne le mandarinat. Il ne perdit pas né- anmoins courage et dirigea son activité in- tellectuelle vers la théorie. C’est alors qu’il traduisit une étude de Sumner Maine sur l’An- cien Droit, à un moment où l’on ne préparait guère, en France, les esprits aux recherches de cet ordre. Les questions de droit, et sur- tout celle du droit de propriété, le passion- naient. Aussi, dirigea-t-il tous ses efforts de ce côté ! Peu d’années après, il faisait pa- raître son volume Préparation à l’étude du Lroit, Etude des Principes, pensant avec rai- son qu’il faut, comme le dit Domat, «consi- dérer quels sont les principes des lois pour connaître la nature et la fermeté des règles qui en dépendent. » Il sortait donc de l’éco- nomie politique pure pour aborder l’étude


COURGELLE-