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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

par leur haut prix, ne sont qu’à la portée d’un petit nombre d’acheteurs. Elle se réduit à peu de chose dans la bijouterie, surtout dans la bijouterie recherchée ; et, comme nous avons vu qu’elle est une des causes de la découverte et de l’application des procédés ingénieux, il arrive que c’est précisément dans les productions d’un travail exquis que de tels procédés se rencontrent plus rarement. En visitant l’atelier d’un lapidaire, on sera étonné de la richesse des matériaux, de la patience et de l’adresse du metteur en œuvre ; mais c’est dans les ateliers où se préparent en grand les choses d’un usage commun, qu’on sera frappé d’une méthode heureusement imaginée pour expédier la fabrication et la rendre plus parfaite. En voyant un collier fait en cheveux, on se représentera tant bien que mal le métier sur lequel il a été natté, la patience de l’ouvrier, les petites pinces dont il s’est aidé, mais en voyant un lacet de fil, il est peu de personnes qui se doutent qu’il ait été fabriqué par un cheval aveugle ou par un courant d’eau ; ce qui est pourtant vrai.

L’industrie agricole est celle des trois qui admet le mois de division dans les travaux. Un grand nombre de cultivateurs ne sauraient se rassembler dans un même lieu pour concourir tous ensemble à la fabrication d’un même produit. La terre qu’ils sollicitent est étendue sur tout le globe, et les force à se tenir à de grandes distances les uns des autres. De plus, l’agriculture n’admet pas la continuité d’une même opération. Un même homme ne saurait labourer toute l’année tandis qu’un autre récolterait constamment. Enfin, il est rare qu’on puisse s’adonner à une même culture dans toute l’étendue de son terrain, et la continuer pendant plusieurs années de suite ; la terre ne la supporterait pas ; et si la culture était uniforme sur toute une propriété, les façons à donner aux terres et les récoltes tomberaient aux mêmes époques, tandis que dans d’autres instans les ouvriers resteraient oisifs[1].

  1. On ne voit pas, en général, dans l’agriculture, des entreprises aussi considérables que dans le commerce et les manufactures. Un fermier ou un propriétaire ne fait pas valoir ordinairement plus de quatre à cinq cents arpens ; exploitation qui, pour l’importance des capitaux et la grandeur des produits, n’excède pas celle d’un manufacturier médiocre. Cela tient à plusieurs causes, et principalement à l’étendue du théâtre qu’exige cette industrie ; à l’encombrement de ses produits qui ne peuvent pas être rentrés de trop loin au chef-lieu de l’entreprise, ni aller chercher des débouchés trop distans ; à la nature même de l’industrie, qui ne permet à l’entrepreneur d’établir aucun ordre constant et uniforme, et qui exige de lui une suite de jugemens partiels, en raison de la différence des cultures, des assolemens, des engrais, de la variété des occupations d’un même ouvrier, laquelle dépend de la marche des saisons, des vicissitudes même du temps, etc.