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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

jour ; mais ce ne peut être que là où il se consomme chaque jour un pareil nombre d’épingles ; car, pour que la division s’étende jusque-là, il faut qu’un seul ouvrier ne s’occupe absolument que du soin d’en aiguiser les pointes, pendant que chacun des autres ouvriers s’occupe d’une autre partie de la fabrication. Si l’on n’avait besoin dans le pays que de vingt-quatre mille épingles par jour, il faudrait donc qu’il perdît une partie de sa journée, ou qu’il changeât d’occupation ; dès-lors la division du travail ne serait plus aussi grande.

Par cette raison, elle ne peut être poussée à son dernier terme que lorsque les produits sont susceptibles d’être transportés au loin, pour étendre le nombre de leurs consommateurs, ou lorsqu’elle s’exerce dans une grande ville qui offre par elle-même une grande consommation. C’est par la même raison que plusieurs sortes de travaux, qui doivent être consommés en même temps que produits, sont exécutés par une même main dans les lieux où la population est bornée.

Dans une petite ville, dans un village, c’est souvent le même homme qui fait l’office de barbier, de chirurgien, de médecin et d’apothicaire ; tandis que dans une grande ville, non-seulement ces occupations sont exercées par des mains différentes, mais l’une d’entre elles, celle de chirurgien, par exemple, se subdivise en plusieurs autres, et c’est là seulement qu’on trouve des dentistes, des oculistes, des accoucheurs, lesquels, n’exerçant qu’une seule partie d’un art étendu, y deviennent beaucoup plus habiles qu’ils ne pourraient jamais l’être sans cette circonstance.

Il en est de même relativement à l’industrie commerciale. Voyez un épicier de village : la consommation bornée de ses denrées l’oblige à être en même temps marchand de merceries, marchand de papier, cabaretier, que sais-je ? écrivain public peut-être, tandis que, dans les grandes villes, la vente, non pas des seules épiceries, mais même d’une seule drogue, suffit pour faire un commerce. À Amsterdam, à Londres, à Paris, il y a des boutiques où l’on ne vend autre chose que du thé, ou des huiles, ou des vinaigres ; aussi chacune de ces boutiques est bien mieux assortie dans ces diverses denrées que les boutiques où l’on vend en même temps un grand nombre d’objets différens.

C’est ainsi que, dans un pays riche et populeux, le voiturier, le marchand en gros, en demi-gros, en détail, exercent différentes parties de l’industrie commerciale, et qu’ils y portent et plus de perfection et plus d’économie. Plus d’économie, bien qu’ils gagnent tous ; et si les explications qui en ont été données ne suffisaient pas, l’expérience nous fourni-