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DISCOURS

puyée sur des faits[1], et c’est avec des faits qu’on a souvent égaré l’autorité publique. La connaissance des faits, sans la connaissance des rapports qui les lient, n’est que le savoir non digéré d’un commis de bureau ; et encore le commis de bureau le plus instruit ne connaît guère complètement qu’une série de faits, ce qui ne lui permet d’envisager les questions que d’un seul côté.

C’est une opposition bien vaine que celle de la théorie et de la pratique ! Qu’est-ce donc que la théorie, sinon la connaissance des lois qui lient les effets aux causes, c’est-à-dire, des faits à des faits ? Qui est-ce qui connaît mieux les faits que le théoricien qui les connaît sous toutes leurs faces, et qui sait les rapports qu’ils ont entre eux ? Et qu’est-ce que la pratique[2] sans la théorie, c’est-à-dire, l’emploi des moyens sans savoir comment ni pourquoi ils agissent ? Ce n’est qu’un empirisme dangereux, par lequel on applique les mêmes méthodes à des cas opposés qu’on croit semblables, et par où l’on parvient où l’on ne voulait pas aller.

C’est ainsi qu’après avoir vu le système exclusif en matière de commerce (c’est-à-dire, l’opinion qu’une nation ne peut gagner que ce qu’une autre perd), adopté presque généralement en Europe dès la renaissance des arts et des lumières ; après avoir vu des impôts constans, et toujours croissans, s’étendre sur certaines nations jusqu’à des sommes effrayantes ; et après avoir vu ces nations plus riches, plus populeuses, plus

  1. Le ministre de l’intérieur en France, dans son exposé de 1813, à une époque de désastres, où le commerce était ruiné, et les ressources en tout genre dans un déclin rapide, se vante d’avoir prouvé, par des chiffres, que la France était dans un état de prospérité supérieur à tout ce qu’elle avait éprouvé jusque là. (Voir la digression sur ce qu’on appelle la Balance du commerce, livre Ier, chap. xvii.)
  2. Par le mot pratique, je n’entends pas ici l’habitude manuelle qui permet de faire plus aisément et mieux ce qu’on fait tous les jours ; c’est le talent d’un ouvrier, d’un scribe : j’entends la méthode que suit celui qui dirige, qui administre la chose publique ou une chose particulière.