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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE VII.

moins de travail pour obtenir la même quantité d’utilité[1], ou, ce qui revient au même, d’obtenir plus d’utilité pour la même quantité de travail humain. Les outils et les machines étendent le pouvoir de l’homme ; ils mettent les corps et les forces physiques au service de son intelligence ; c’est dans leur emploi que consistent les plus grands progrès de l’industrie.

L’introduction des nouveautés les plus précieuses est toujours accompagnée de quelques inconvéniens ; quelques intérêts sont toujours liés à l’emploi d’une méthode vicieuse, et ils se trouvent froissés par l’adoption d’une méthode meilleure. Lorsqu’une nouvelle machine, ou en général un procédé expéditif quelconque, remplace un travail humain déjà en activité, une partie des bras industrieux dont le service est utilement suppléé, demeurent momentanément sans ouvrage. Et l’on a tiré de là des argumens assez graves contre l’emploi des machines ; en plusieurs lieux, elles ont été repoussées par la fureur populaire, et même par des actes de l’administration. Ce serait toutefois un acte de folie que de repousser des améliorations à jamais favorables à l’humanité, à cause des inconvéniens qu’elles pourraient avoir dans l’origine ; inconvéniens d’ailleurs atténués par les circonstances qui les accompagnent ordinairement.

1o C’est avec lenteur que s’exécutent les nouvelles machines, et que leur usage s’étend ; ce qui laisse aux industrieux dont les intérêts peuvent en être affectés, le loisir de prendre leurs précautions, et à l’administration le temps de préparer des remèdes[2].

  1. Il ne faut pas perdre de vue le sens du mot utilité dans tout le cours de cet ouvrage : c’est la faculté donnée aux choses de pouvoir satisfaire l’un ou l’autre des besoins de l’humanité.
  2. Sans restreindre pour un temps et dans certains endroits l’emploi des nouveaux procédés et des nouvelles machines, ce qui serait une violation de la propriété acquise par l’invention et l’exécution des machines, une administration bienveillante peut préparer d’avance de l’occupation pour les bras inoccupés, soit en formant, à ses frais, des entreprises d’utilité publique, comme un canal, une route, un grand édifice ; soit en provoquant une colonisation, une translation de population d’un lieu dans un autre. L’emploi des bras qu’une machine laisse sans occupation est d’autant plus facile, que ce sont pour l’ordinaire des bras accoutumés au travail.