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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

avant d’avoir fait son apprentissage. Il y a dans les arts une certaine perfection qui naît de l’expérience et de plusieurs essais faits successivement, dont les uns ont échoué et les autres ont réussi. Les sciences ne suffisent donc pas à l’avancement des arts : il faut de plus des expériences plus ou moins hasardeuses, dont le succès ne dédommage pas toujours de ce qu’elles ont coûté ; lorsqu’elles réussissent, la concurrence ne tarde pas à modérer les bénéfices de l’entrepreneur ; mais la société demeure en possession d’un produit nouveau, ou, ce qui revient exactement au même, d’un adoucissement sur le prix d’un produit ancien.

En agriculture, les expériences, outre la peine et les capitaux qu’on y consacre, coûtent la rente du terrain ordinairement pendant une année, et quelquefois pour plus long-temps.

Dans l’industrie manufacturière, elles reposent sur des calculs plus sûrs, occupent moins long-temps les capitaux, et, lorsqu’elles réussissent, les procédés étant moins exposés aux regards, l’entrepreneur a plus long-temps la jouissance exclusive de leur succès. En quelques endroits, leur emploi exclusif est garanti par un brevet d’invention. Aussi les progrès de l’industrie manufacturière sont-ils en général plus rapides et plus variés que ceux de l’agriculture.

Dans l’industrie commerciale, plus que dans les autres, les essais seraient hasardeux si les frais de la tentative n’avaient pas en même temps d’autres objets. Mais c’est pendant qu’il fait un commerce éprouvé qu’un négociant essaie de transporter le produit d’un certain pays dans un autre où il est inconnu. C’est ainsi que les hollandais, qui fesaient le commerce de la Chine, essayèrent, sans compter sur beaucoup de succès, vers le milieu du dix-septième siècle, d’en rapporter une petite feuille sèche dont les chinois tiraient une infusion, chez eux d’un grand usage. De là le commerce du thé, dont on transporte actuellement en Europe chaque année au-delà de 45 millions de livres pesant, qui y sont vendues pour une somme de plus de 300 millions[1].

Hors les cas extraordinaires, la sagesse conseille peut-être d’employer aux essais industriels, non les capitaux réservés pour une production éprouvée, mais les revenus que chacun peut, sans altérer sa fortune, dépenser selon sa fantaisie. Elles sont louables les fantaisies qui dirigent vers un but utile des revenus et un loisir que tant d’hommes consacrent à

  1. Voyez le Voyage commercial et politique aux Indes orientales, par M. Félix Renouard de Sainte-Croix.