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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE VI.

Partout l’industrie se compose de la théorie, de l’application, de l’exécution. Ce n’est qu’autant qu’une nation excelle dans ces trois genres d’opérations, qu’elle est parfaitement industrieuse. Si elle est inhabile dans l’une ou dans l’autre, elle ne peut se procurer des produits qui sont tous les résultats de toutes les trois. Dès-lors on aperçoit l’utilité des sciences qui, au premier coup d’œil, ne paraissent destinées qu’à satisfaire une vaine curiosité[1].

Les nègres de la côte d’Afrique ont beaucoup d’adresse : ils réussissent dans tous les exercices du corps et dans le travail des mains ; mais ils paraissent peu capables des deux premières opérations de l’industrie. Aussi sont-ils obligés d’acheter des européens les étoffes, les armes, les parures dont ils ont besoin. Leur pays est si peu productif, malgré sa fécondité naturelle, que les vaisseaux qui allaient chez eux pour s’y procurer des esclaves, n’y trouvaient pas même les provisions nécessaires pour les nourrir pendant la route, et étaient obligés de s’en pourvoir d’avance[2].

Les modernes, plus que les anciens, et les européens plus que les autres habitans du globe, ont possédé les qualités favorables à l’industrie. Le plus mince habitant de nos villes jouit d’une infinité de douceurs dont un monarque de sauvages est obligé de se passer. Les vitres seules qui laissent entrer dans sa chambre la lumière en même temps qu’elles le préservent des intempéries de l’air, les vitres sont le résultat admirable d’observations, de connaissances recueillies, perfectionnées depuis plusieurs siècles. Il a fallu savoir quelle espèce de sable était susceptible de se transformer en une matière étendue, solide et transparente ; par quels mélanges, par quels degrés de chaleur on pouvait obtenir ce produit. Il a fallu connaître la meilleure forme à donner aux fourneaux. La charpente seule qui couvre une verrerie, est le fruit des connaissances les plus

  1. Les lumières ne sont pas seulement indispensables au succès de l’industrie, par les secours directs qu’elles lui prêtent ; elles lui sont encore favorables, en diminuant l’empire des préjugés. Elles enseignent à l’homme à compter plus sur ses propres efforts que sur les secours d’un pouvoir surhumain. L’ignorance est attachée à la routine, ennemie de tout perfectionnement ; elle attribue à une cause surnaturelle, une épidémie, un fléau qu’il serait facile de prévenir ou d’écarter ; elle se livre à des pratiques superstitieuses, lorsqu’il faudrait prendre des précautions ou apporter des remèdes. En général, toutes les sciences, comme toutes les vérités, se tiennent et se prêtent un secours mutuel.
  2. Voyez les Œuvres de Poivre, pages 77 et 78.