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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE IV.

tive du sol ; telle est la force vitale qui concourt au développement des animaux dont nous sommes parvenus à nous emparer. Un troupeau de moutons est le résultat, non-seulement des soins du maître et du berger, et des avances qu’on a faites pour le nourrir, l’abriter, le tondre ; mais il est aussi le résultat de l’action des viscères et des organes de ces animaux, dont la nature a fait les frais.

C’est ainsi que la nature est presque toujours en communauté de travail avec l’homme et ses instrumens ; et dans cette communauté nous gagnons d’autant plus, que nous réussissons mieux à épargner notre travail et celui de nos capitaux, qui est nécessairement coûteux, et que nous parvenons à faire exécuter, au moyen des services gratuits de la nature, une plus grande part des produits[1].

Smith s’est donné beaucoup de peine pour expliquer l’abondance des produits dont jouissent les peuples civilisés, comparée avec la pénurie des

  1. On verra plus tard (livre II, chap. 4) que cette production, qui est le fait de la nature, ajoute aux revenus des hommes, non-seulement une valeur d’utilité, la seule que lui attribuent Smith et Ricardo, mais une valeur échangeable. En effet, quand un manufacturier, à l’aide d’un procédé qui lui est particulier, parvient à faire pour 13 francs un produit qui, avant l’emploi de ce procédé, coûtait 20 francs de frais de production, il gagne 5 francs aussi long-temps que son procédé demeure secret et qu’il profite seul du travail gratuit de la nature ; et quand le procédé devient public et que la concurrence oblige le producteur à baisser le prix de son produit de 20 à 15 francs, ce sont alors les consommateurs du produit, qui font ce gain ; car lorsqu’une personne dépense 15 francs là où elle en dépensait 20, elle jouit d’une valeur de 5 francs qu’elle peut consacrer à tout autre emploi.

    Mac Culloch, dans son Commentaire sur Smith, note 1, prétend que j’ai dit dans ce passage que l’action des agens naturels ajoute, non seulement à l’utilité des produits, mais à leur valeur échangeable ; tandis que j’ai dit qu’ils ajoutent aux revenus des hommes, à ceux du consommateur, quand ce n’est pas à ceux du producteur.

    Cette doctrine sera plus développée au second livre de cet ouvrage, où j’examine en quoi consiste l’importance de nos revenus ; mais je me suis vu forcé d’en dire un mot dans ce chapitre, qui s’est trouvé vivement attaqué par Ricardo, dans la troisième édition de ses Principes d’Économie politique, chap. 20. Je n’aurais pas fait ici l’apologie de ma doctrine si elle avait été attaquée par un homme moins justement célèbre ; car s’il me fallait défendre les principes établis dans ce livre-ci contre toutes les critiques dont ils ont été l’objet, je serais forcé d’en doubler le volume. Les raisons que je donne sur chaque point ont paru suffire aux lecteurs qui ont cherché de bonne foi à s’en pénétrer.