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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE II.

Il aurait fallu que les Économistes prouvassent, en premier lieu, que la production des artisans et manufacturiers est nécessairement balancée par leurs consommations. Or, ce n’est point un fait. Dans un pays anciennement civilisé et très-industrieux, le nombre et l’importance des entreprises de commerce et de manufactures procurent une somme de revenus plus considérables que l’agriculture ; et les épargnes qu’on y fait annuellement excèdent probablement, au contraire, celles qui se font parmi les propriétaires des terres.

En second lieu, les profits résultans de la production manufacturière, pour avoir été consommés et avoir servi à l’entretien des manufacturiers et de leurs familles, n’en ont pas moins été réels et acquis. Ils n’ont même servi à leur entretien que parce que c’étaient des richesses réelles, et tout aussi réelles que celles des propriétaires fonciers et des agriculteurs, qui se consomment de même en servant à l’entretien de ces classes.

L’industrie commerciale concourt à la production de même que l’industrie manufacturière, en élevant la valeur d’un produit par son transport d’un lieu dans un autre. Un quintal de coton du Brésil a acquis la faculté de pouvoir servir, et vaut davantage dans un magasin d’Europe que dans un magasin de Fernambouc. C’est une façon que le commerçant donne aux marchandises ; une façon qui rend propres à l’usage, des choses qui, autrement placées, ne pouvaient être employées ; une façon non moins utile, non moins compliquée et non moins hasardeuse qu’aucune de celles que donnent les deux autres industries. Le commerçant se sert aussi, et pour un résultat analogue, des propriétés naturelles du bois, des métaux dont ses navires sont construits, du chanvre qui compose ses voiles, du vent qui les enfle, de tous les agents naturels qui peuvent concourir à ses desseins, de la même manière qu’un agriculteur se sert de la terre, de la pluie et des airs[1].

  1. Genovesi, qui occupait à Naples une chaire d’économie politique, définit le commerce, l’échange du superflu contre le nécessaire. Il se fonde sur ce que, dans un échange, la marchandise qu’on veut avoir, est, pour l’un et l’autre contractant, plus nécessaire que celle qu’on veut donner. C’est une subtilité ; et je la signale, parce qu’elle est souvent reproduite. Il serait difficile de prouver qu’un pauvre ouvrier, qui va le dimanche au cabaret, y donne son superflu en échange de son nécessaire. Dans tout commerce qui n’est pas une escroquerie, on échange entre elles deux choses qui, au moment et dans le lieu où se fait l’échange, valent autant l’une que l’autre. La production commerciale, c’est-à-dire, la valeur ajoutée aux marchandises échangées, n’est point le fait de l’échange, mais le fait des opérations commerciales qui les ont fait arriver. Le comte de Verri est, à ma connaissance, le premier qui ait dit en quoi consistait le principe et le fondement du commerce. Il a dit en 1771 : « Le commerce n’est réellement autre chose que le transport des marchandises d’un lieu à un autre. » (Meditazioni sulla Economia politica, § 4.) Le célèbre Adam Smith lui-même semble n’avoir pas une idée bien nette de la production commerciale. Il exclut seulement l’opinion qu’il y a production de valeur par le fait de l’échange.