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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE XI.

En 1776, l’Angleterre trouvait des secours pour l’aider à soutenir ses injustes prétentions contre les États-Unis, et les États-Unis n’en trouvaient point pour défendre leur indépendance. En 1792, les puissances coalisées trouvaient de l’argent pour dicter des lois à la France ; et la France, poussée au désespoir, n’aurait pas conservé son indépendance sans les mesures violentes dont elle a eu tant à gémir. Plus récemment on a trouvé des millions pour plonger dans la dégradation les compatriotes du Cid ; et la partie mitoyenne, vertueuse et éclairée de ce peuple, a été livrée en proie à la partie fanatique et barbare.

L’abus qu’on a fait du crédit, ou plutôt des moyens qui suppléent au crédit, a conduit le véritable publiciste, celui qui s’occupe des intérêts du public, à se demander à quoi tout cet appareil si vanté pouvait être bon. Il a jeté les yeux sur l’Angleterre, et il a vu une nation tellement obérée par les intérêts de sa dette, et les objets de la consommation tellement renchéris par les impôts, que le travail chez elle ne suffit plus à la classe indigente pour la faire subsister ; et qu’au sein de la plus admirable industrie et de l’activité la plus soutenue, la plupart des citoyens y sont constamment en butte aux plus cruelles privations[1].

Beaucoup de personnes respectables, mais trop peu accoutumées à suivre les faits jusque dans leurs dernières conséquences, vantent avec enthousiasme la puissance du crédit public ; des négocians qui ont voué par état une sorte de culte à la fidélité scrupuleuse que l’on doit mettre à payer ses dettes, ne s’aperçoivent pas que, pour les gouvernemens, il est une vertu plus haute : c’est de n’en pas contracter. Il est impossible aux

  1. On demande quelquefois comment, avec des frais de production aggravés par l’impôt, les Anglais peuvent vendre au dehors à meilleur marché que des peuples moins surchargés. En premier lieu il y a des draw-backs ; ou restitution de droits sur presque tous les grands objets d’exportation ; en second lieu, les droits d’entrées que les marchandises paient aux douanes étrangères, sont plus modérés pour les Anglais que pour d’autres nations, grâce aux soins de leur gouvernement ; enfin ce qui, pour le consommateur anglais, renchérit le plus les produits, sont les impôts qu’ils doivent supporter dans les dernières façons qu’ils reçoivent, et notamment de la part des détailleurs. Le prix du pain doit payer, indépendamment de sa part de l’impôt foncier, de la dixme, de la taxe des pauvres, de celle des chemins, etc., les impôts directs et indirects du meunier et du boulanger ; le prix des vêtemens est souvent moins élevé par ce que coûte l’étoffe, que par les énormes impôts de consommation que paient le marchand en détail, le tailleur, etc. Les acheteurs étrangers sont affranchis de cette portion des frais de production.