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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE XI.


À considérer les ressources d’un gouvernement, il mérite plus de confiance qu’un particulier. Les revenus d’un particulier peuvent lui manquer tout à coup, ou du moins en si grande partie, qu’il demeure hors d’état d’acquitter ses engagemens. Des faillites nombreuses dans le commerce, des événemens majeurs, des fléaux, des procès, des injustices, peuvent ruiner un particulier, tandis que les revenus d’un gouvernement se fondent sur des tributs imposés à un si grand nombre de contribuables, que les malheurs particuliers de ceux-ci ne peuvent compromettre qu’une faible portion du revenu public.

Mais ce qui favorise singulièrement les emprunts que font les gouvernemens, est bien moins la confiance qu’ils méritent ou qu’on leur accorde, que quelques autres circonstances accessoires qui sont dignes de toute l’attention des publicistes.

Les fonds publics sont un placement plus connu, plus accessible qu’aucun autre. Tout le monde est admis à y porter ses épargnes. Nul placement n’exige moins de formalités, moins de précautions, moins de capacité dans le prêteur, et ne l’expose moins aux chicanes de la mauvaise foi. On en fait usage sans être obligé de mettre le public dans sa confidence, et sans autres frais que le paiement d’un courtage. On a de plus investi les placemens dans les fonds publics, de tous les priviléges que peut conférer l’autorité souveraine. Pendant que le génie de la fiscalité exploite avec avidité les sources de presque tous les revenus, celle-ci a été mise à l’abri de ses atteintes. Nulle contribution n’est assise sur les rentes payées par l’état. Leur transmission a été affranchie des droits, aussi bien que des formalités qui accompagnent toute autre transmission. Ce fonds, aussi bien que ses intérêts, ont été déclarés insaisissables ; tellement qu’un créancier de l’état, criblé de dettes, peut tranquillement consommer ses revenus en bravant ses créanciers. S’il conçoit quelques inquiétudes sur la solvabilité du trésor, s’il arrive qu’il ait besoin de ses fonds, si quelque autre emploi les appelle, il lui suffit de vingt-quatre heures pour les réaliser ; il peut le faire obscurément ; la possibilité de vendre, lui fait regarder comme nul le danger de garder.

Cependant tous ces priviléges, et ces moyens accessoires d’attirer les accumulations des particuliers dans le gouffre des dépenses publiques, se sont trouvés insuffisans dans beaucoup de cas. Il n’est personne qui ne sente que les gouvernemens sont des débiteurs trop puissans pour n’être pas toujours un peu dangereux. Dans les conventions conclues entre eux et les particuliers, ils sont nécessairement juges en même temps que par-