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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

En résumé, il peut être expédient d’emprunter lorsqu’on n’a, comme les gouvernemens, qu’un usufruit à dépenser, et que l’on est forcé de dépenser un capital ; mais qu’on ne s’imagine pas travailler à la prospérité publique en empruntant. Quiconque emprunte, particulier ou prince, grève son revenu d’une rente et s’appauvrit de toute la valeur du principal s’il le consomme ; or, c’est ce que font presque toujours les nations qui empruntent.

§ II. — Du crédit public, de ce qui le fonde, de ce qui l’altère.

Le crédit public est la confiance qu’on accorde aux engagemens contractés par le gouvernement. L’état emprunte à des conditions d’autant meilleures que cette confiance est plus entière ; on peut présumer dès-lors que les contribuables sont d’autant moins chargés d’impôts, que le gouvernement a plus de crédit. On verra tout à l’heure jusqu’à quel point cette présomption est justifiée par l’expérience.

Le crédit de tous les gouvernemens a été fort peu stable jusque vers la fin du dix-huitième siècle. Les monarques absolus, ou à peu près absolus, inspiraient peu de confiance : leurs recettes et leurs dépenses étant tenues secrètes, le public ne pouvait juger ni la nature de leurs embarras, ni l’étendue de leurs ressources. Là où la volonté d’un seul fait la loi, les prêteurs n’ont d’autre gage de la solidité des promesses, que la bonne volonté du prince ou du ministre en crédit ; l’avénement d’un nouveau prince, ou seulement d’un autre ministre, peut anéantir les promesses les plus solennelles. Pour suppléer au crédit, on offrait différentes amorces aux prêteurs : tantôt c’était l’appât des gros intérêts des rentes viagères et des tontines, tantôt celui des annuités, des primes, des lots ajoutés à l’intérêt stipulé. En Angleterre même, au milieu des brillantes victoires de Marlborough, les billets de l’échiquier perdaient jusqu’à quarante pour cent[1]. La reine Anne emprunta neuf millions sterling, auxquels on attacha des lots qui ne montèrent pas à moins de 2,723,918 livres sterling, indépendamment des intérêts[2]. Le crédit de l’Angleterre d’abord, et de plusieurs autres états, s’est affermi depuis ; ce qu’il faut attribuer principalement à l’exactitude scrupuleuse avec laquelle ils ont acquitté les intérêts de leur dette.

  1. Steuart, Économie politique, tome II, page 584 de l’édition française.
  2. Robert Hamilton, On the national Debt, troisième édition, page 73 de l’édition anglaise.