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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE X.

qu’ils s’en doutent le moins, soit par les prix auxquels ils achètent les denrées, soit par les pertes qu’ils éprouvent sans pouvoir en assigner les causes.

Ceux sur les revenus de qui retombent définitivement les contributions, sont les vrais contribuables, et les valeurs dont ils contribuent excèdent de beaucoup la somme des valeurs qui entrent véritablement aux mains des gouvernemens, en y joignant même les frais de perception. Cet excédant de valeurs contribuées est d’autant plus considérable, que le pays est plus mal administré.

Il est bon de rapprocher ce qui est dit ici des principes établis au chap. 2 du livre II, où l’on a vu la différence qui existe entre la cherté réelle et la cherté relative. La cherté résultant de l’impôt est une cherté réelle. C’est une moins grande quantité de produits obtenue pour une plus grande quantité de services productifs. Mais, indépendamment de cela, l’impôt occasionne ordinairement, et en même temps, un renchérissement des produits relativement à l’argent : c’est-à-dire qu’il fait payer les marchandises plus cher en monnaie. La raison en est que l’argent n’est point une production annuelle et courante comme celles qu’absorbe l’impôt[1]. Sauf les cas où le gouvernement envoie de l’argent à l’étranger pour acquitter des subsides ou salarier des armées, il ne consomme pas de la monnaie : il reverse dans la société, par ses achats, la monnaie qu’il lève par l’impôt, sans y reverser la valeur de l’impôt. Mais comme l’impôt paralyse une partie de la production, et opère une prompte destruction des produits qu’il n’empêche pas de naître, les impôts excessifs rendent les produits toujours plus rares par rapport à la monnaie, dont la quantité n’est pas diminuée par le fait de l’impôt. Or, toutes les fois que les marchandises en circulation deviennent plus rares par rapport à la quantité de monnaie en circulation, elles sont plus chères en argent.

Il semblerait que cette surabondance de monnaie d’or et d’argent devrait contribuer à l’aisance publique. Point du tout ; car l’argent a beau être en plus grande proportion par rapport aux produits courans, chacun ne peut l’acquérir que par des produits de sa propre création, et c’est cette création même qui est dispendieuse et difficile.

Au reste, quand les produits sont chers en argent, l’argent lui-même, ayant moins de valeur relative, ne tarde guère à s’écouler ; il devient plus

  1. On en a vu la raison. Les achats qu’on fait avec l’argent de l’impôt, sont des échanges, et non des restitutions.