Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/536

Cette page a été validée par deux contributeurs.
535
DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

tion de leurs produits, mais les empêche de tirer parti de la portion qu’il ne leur ôte pas.

Le maréchal de Vauban, dans sa Dixme royale, ouvrage d’un esprit juste, et qui mérite d’être étudié par tous les administrateurs de la fortune publique, propose une dixme du vingtième des fruits de la terre, qu’on pourrait à la rigueur, et dans un cas de nécessité, élever jusqu’au dixième. Mais Vauban proposait cet impôt inégal pour remédier à une inégalité encore plus grande : les besoins de l’état étaient urgens, les ressources épuisées ; il s’agissait d’atteindre, fût-ce imparfaitement, les biens nobles et les biens ecclésiastiques, qui ne payaient rien. À l’époque où Vauban donna son plan, la France en aurait éprouvé un grand soulagement, et il conduisait à l’abolition des priviléges. C’est pour cela même qu’il fut rejeté.

En 1692, quatre ans après l’heureuse révolution qui plaça le prince d’Orange sur le trône d’Angleterre, on fit une évaluation générale des revenus territoriaux de ce royaume, et cette évaluation sert de base encore aujourd’hui à la répartition de l’impôt territorial qu’on y lève ; de manière que, quand l’impôt est fixé au cinquième des revenus fonciers, ce n’est pas le cinquième du revenu foncier actuel qu’on perçoit, c’est le cinquième du revenu évalué en 1692.

On sent qu’un tel impôt a être singulièrement favorable aux améliorations agricoles. Un fonds amélioré, et qui rapporte un revenu décuple de ce qu’il rapportait dans l’origine, ne paie point une décuple taxe. Si on l’a laissé se détériorer, il n’en paie pas moins comme si son revenu était resté le même. La négligence est condamnée à une amende.

Plusieurs écrivains attribuent à cette fixité d’évaluation, la haute prospérité où l’agriculture est portée en Angleterre.

Qu’elle y ait beaucoup contribué, c’est ce dont il n’est pas permis de douter. Mais que dirait-on, si le gouvernement, s’adressant à un petit négociant, lui tenait ce langage : Vous faites, avec de faibles capitaux, un commerce borné, et votre contribution directe est, en conséquence, peu de chose. Empruntez et accumulez des capitaux ; étendez votre commerce, et qu’il vous procure d’immenses profits ; vous ne paierez toujours que la même contribution. Bien plus : quand vos héritiers succèderont à vos profits, et les auront augmentés, on ne les évaluera que comme ils furent évalués pour vous, et vos successeurs ne supporteront pas une plus forte part des charges publiques[1].

  1. Ricardo a fait sur ce passage (chap. 12), une critique dont voici le fond : Une bonification est un nouveau capital répandu sur la terre. Il n’est pas plus équitable…