Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/533

Cette page a été validée par deux contributeurs.
532
LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE X.

qu’il est assis sur ce produit au moment seulement où il a acquis sa plus grande valeur, où il a subi toutes ses façons productives.

Que si l’on fait payer dès l’origine à la matière première une contribution proportionnée, non pas à sa valeur actuelle, mais à celle qu’elle doit acquérir, alors on force le producteur aux mains de qui elle se trouve, à faire l’avance d’un impôt disproportionné avec la valeur qu’il manie ; avance gênante, remboursée avec peine par le producteur qui suit, et par les autres, jusqu’au dernier producteur, qui est à son tour imparfaitement remboursé par le consommateur.

Il y a dans cette avance d’impôt un autre inconvénient : c’est que l’industrie, qui en est grevée, ne peut être conduite qu’au moyen de capitaux plus considérables que ne l’exige la nature de la production ; et que l’intérêt de ces capitaux, payé en partie par les producteurs, et en partie par les consommateurs, est une addition d’impôt dont le fisc ne profite pas[1].

L’expérience et le raisonnement conduisent ainsi à cette conséquence, opposée à celle des économistes, que la portion de l’impôt qui doit peser sur le revenu du consommateur, y retombe toujours avec d’autant plus de surcharge, que l’impôt est levé plus près des premiers producteurs.

Les impôts directs et personnels, comme la capitation, assis sur les producteurs des denrées nécessaires, et les impôts qui portent sur les denrées nécessaires elles-mêmes, ont cet inconvénient au plus haut degré ; ils obligent chaque producteur à faire l’avance de l’impôt personnel de tous les producteurs qui l’ont précédé ; la même quantité de capitaux entretient dès-lors une industrie moindre, et les contribuables paient

  1. En France, en 1812, les droits d’entrée sur le coton en laine allaient environ à mille francs par halle, l’une portant l’autre ! Plusieurs manufactures étaient montées pour consommer deux de ces halles par chaque jour de travail. Il fallait qu’elles tissent l’avance de cet impôt depuis le moment de l’achat de leur matière première jusqu’au moment de la réalisation des ventes. En supposant cet espace d’une année, elles avaient besoin d’un capital de six cent mille francs plus fort que si le droit n’eût pas existé, et, pour ne pas y perdre, il fallait qu’elles retrouvassent sur la vente des produits l’intérêt de ce capital. C’était un renchérissement du produit, une addition à l’impôt, perdue par les Français, sans pour cela qu’elle entrât au fisc de leur gouvernement. À la même époque, les plus fortes charges supportées par les Français n’étaient pas celles qui figuraient dans leur budget. Ils souffraient, sans savoir bien souvent à quoi attribuer leurs maux. On le voit par cet exemple.