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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

Ajoutons que les effets que je fais remarquer, et qui sont conformes à l’expérience aussi bien qu’expliqués par le raisonnement, durent autant que les circonstances qui les ont occasionnés. Un propriétaire foncier ne pourra jamais faire supporter à ses consommateurs aucune part de sa contribution foncière : il n’en sera pas de même d’un manufacturier. La consommation d’une denrée, toutes choses d’ailleurs égales, sera constamment bornée par un impôt qui en élèvera le prix, et il y aura moins de gains faits dans sa production. Un homme qui n’est ni producteur ni consommateur d’une denrée de luxe, ne supportera jamais la moindre part d’un impôt mis sur cette denrée. Que penser en conséquence d’une doctrine qui a malheureusement obtenu l’approbation d’une société illustre trop étrangère à ce genre de connaissances[1], doctrine où l’on établit qu’il importe peu que l’impôt pèse sur une branche de revenu ou sur une autre, pourvu qu’il soit anciennement établi ; que tout impôt, à la longue, se puise dans tous les revenus, comme le sang qu’on tire d’un bras se pompe sur tout le corps ? Cette comparaison n’est nullement analogue à la nature de l’impôt. Les richesses sociales ne sont point un fluide qui cherche son équilibre. Une atteinte portée à l’une des branches de l’arbre social peut la tuer, sans que l’arbre périsse ; elle est plus fâcheuse, si elle porte sur une branche productive que sur une autre qui ne l’est pas. Il faut que les blessures se multiplient, que l’arbre entier soit attaqué, pour qu’il devienne complétement stérile et qu’il meure. Cette similitude représente mieux l’effet de l’impôt que ne le fait la circulation du sang ; mais ni l’une ni l’autre ne tiennent lieu du raisonnement. Une comparaison n’est point une preuve : elle n’est qu’un moyen de faire comprendre une vérité qui doit être prouvée sans cela.

Jusqu’à présent, lorsque j’ai parlé d’un droit imposé sur un produit quelconque (droit que j’ai quelquefois appelé impôt sur les consommations, quoique le consommateur du produit ne le paie pas en totalité), je ne me suis point arrêté à remarquer à quel période de la production le droit avait été demandé, et quels effets devaient résulter de cette circonstance, qui cependant mérite de nous arrêter quelques instans.

Les produits augmentent successivement de valeur en passant entre les mains de leurs différens producteurs ; car les plus simples produits subissent bien des façons avant d’être au point de pouvoir être consommés. Un impôt n’est donc en proportion avec la valeur d’un produit que lors-

  1. L’institut de France, lorsqu’il couronna un discours de M. Canard.