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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE X.

une terre, n’en évalue le revenu que net de frais et d’impositions. Si le taux de ce genre de placement est dans le pays de cinq pour cent, et qu’il ait à acheter une terre de cent mille francs, il ne la paiera plus que quatre-vingt mille du moment qu’un nouvel impôt viendra à charger cette terre d’un tribut annuel de mille francs ; car elle ne produira plus alors que quatre mille francs.

C’est comme si le gouvernement prenait un cinquième de la terre ; le consommateur des produits territoriaux ne s’en apercevrait pas[1].

Il y a une exception à faire pour les maisons d’habitation : l’impôt qu’on fait payer au propriétaire enchérit les loyers ; c’est qu’à proprement parler, une maison, ou plutôt la jouissance d’une maison, est un produit manufacturier, et non pas un produit foncier, et que le haut prix des loyers diminue la consommation et la production des maisons comme celle des étoffes. Les bâtisseurs de maisons, y trouvant de moins bons profits, en font moins, et les consommateurs, payant ce produit plus cher, se logent plus à l’étroit.

On voit, d’après ce qui précède, combien il est téméraire d’affirmer comme un principe général que tout impôt tombe définitivement sur telle classe de la société, ou sur telle autre. Les impôts tombent sur ceux qui ne peuvent pas s’y soustraire, parce qu’ils sont un fardeau que chacun éloigne de tout son pouvoir ; mais les moyens de s’y soustraire varient à l’infini, suivant les différentes formes de l’impôt, et suivant les fonctions qu’on exerce dans la machine sociale. Il y a plus, ils varient selon les temps, pour les mêmes professions. Quand une marchandise est fort demandée, son détenteur ne la cède qu’autant que tous ses frais sont bien payés ; l’impôt fait partie de ses frais ; il a soin de se le faire rembourser en totalité et sans miséricorde. Une circonstance imprévue fait-elle baisser le même produit, il se trouve heureux de supporter l’impôt tout entier pour en faciliter la vente. Rien n’est plus incertain, rien n’est plus variable que les proportions suivant lesquelles les diverses classes de la société supportent l’impôt. Les auteurs qui les font porter sur telle ou telle classe, et suivant des proportions constantes, raisonnent sur des suppositions que l’observation des faits dément à chaque instant.

  1. Les Économistes avaient raison de dire que l’impôt foncier portait tout entier sur le produit net, et par conséquent sur les propriétaires des terres ; mais ils avaient tort de soutenir que tous les autres impôts retombaient en totalité sur les mêmes propriétaires des terres.