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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE IX.

de manière qu’il fût d’autant plus léger qu’il portât sur un revenu plus nécessaire, il faudrait qu’il diminuât, non pas simplement proportionnellement, mais progressivement.

En effet, et en supposant l’impôt purement proportionnel au revenu, d’un dixième par exemple, il enlèverait à une famille qui possède trois cent mille francs de revenu, 30,000 francs. Cette famille en conserverait 270,000 à dépenser par an, et l’on peut croire qu’avec un pareil revenu, non-seulement elle ne manquerait de rien, mais qu’elle se conserverait encore beaucoup de ces jouissances qui ne sont pas indispensables pour le bonheur ; tandis qu’une famille qui ne posséderait qu’un revenu de trois cents francs, et à qui l’impôt n’en laisserait que 270, ne conserverait pas, dans nos mœurs, et au cours actuel des choses, ce qui est rigoureusement nécessaire pour exister. On voit donc qu’un impôt qui serait simplement proportionnel, serait loin cependant d’être équitable ; et c’est probablement ce qui a fait dire à Smith : « Il n’est point déraisonnable que le riche contribue aux dépenses publiques, non-seulement à proportion de son revenu, mais pour quelque chose de plus[1]. »

J’irai plus loin, et je ne craindrai pas de prononcer que l’impôt progressif est le seul équitable.

4o Ceux qui nuisent le moins à la reproduction.

Parmi les valeurs que l’impôt ravit aux particuliers, une grande partie, sans doute, si elle leur eût été laissée, aurait été employée à la satisfaction de leurs besoins et à leurs jouissances ; mais une autre partie aurait été épargnée et ajoutée à leurs capitaux productifs. Ainsi l’on peut dire que tout impôt nuit à la reproduction, en nuisant à l’accumulation des capitaux productifs.

Toutefois l’impôt nuit plus directement encore aux capitaux, lorsque pour le payer le contribuable doit nécessairement détourner une partie

  1. Richesse des Nations, livre V, chap. 2. On dit à cet égard que l’impôt progressif a le fâcheux effet d’établir une prime de découragement sur les efforts et les épargnes qui favorisent la multiplication des capitaux. Mais qui ne voit que l’impôt, quel qu’il soit, ne prend jamais qu’une part, et ordinairement une part très-modérée de l’accroissement qu’un particulier donne à sa fortune, et qu’il reste à chacun, pour produire, une prime d’encouragement supérieure à la prime de découragement ? Celui qui augmente son revenu de mille francs, et qui paie en conséquence 200 francs d’augmentation dans ses contributions, multiplie néanmoins ses jouissances bien plus encore que ses sacrifices. Voyez ce qui est dit plus loin, chap. 10, sur l’impôt territorial d’Angleterre.