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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE IX.

Ce ne sont pas seulement les frais de perception qui sont une charge pour les peuples, sans être un profit pour le trésor public. Les poursuites, les frais de contrainte, n’augmentent pas d’un sou les recettes, et sont une addition aux charges. C’est même une addition qui retombe sur les contribuables les plus nécessiteux ; les autres n’attendent pas la contrainte. Ces moyens odieux de faire payer les contributions se réduisent à cette proposition : Vous n’avez pas les moyens de payer dix francs : en ce cas, je vais vous en demander douze. On n’a pas besoin de moyens violens pour faire payer, lorsque les contributions sont légères, comparées aux facultés des contribuables ; mais quand on a le malheur d’avoir de trop forts impôts à faire rentrer, oppression pour oppression, les saisies valent mieux. Le contribuable dont on saisit et vend les effets jusqu’à concurrence de sa contribution, au moins ne paie pas au delà de ce qu’il doit payer, et ne fait aucuns frais qui n’entrent au trésor public.

C’est par une raison pareille que les travaux qui se font par corvée, comme autrefois les grands chemins en France, sont de mauvais impôts. Le temps perdu pour se rendre de trois ou quatre lieues à l’endroit du travail, celui qui se perd dans un ouvrage qui n’est pas payé et qu’on fait à contre-cœur, sont des pertes pour le contribuable, sans être un profit pour le public. Souvent aussi la perte occasionnée par une interruption forcée de travail agricole, est plus considérable que le produit du travail obligé qu’on y substitue, en supposant même qu’il fût bien fait. Turgot demanda aux ingénieurs des provinces un devis des dépenses qu’exigeraient, année commune, les routes pour leur entretien, en y ajoutant autant de constructions nouvelles qu’il en avait été fait jusqu’alors. On leur recommanda d’établir leurs calculs sur le pied de la plus forte dépense possible. Ils la portèrent à 10 millions pour tout le royaume. Turgot évaluait à 40 millions les pertes que la corvée occasionnait aux peuples[1].

Les jours où le repos est imposé, soit par les lois, soit même par des usages qu’on n’ose enfreindre, sont encore des contributions dont il n’entre pas la moindre parcelle dans le trésor de l’état.

  1. Necker n’évalue la corvée qu’à 20 millions ; mais il considère peut-être plus la valeur des journées de travail fournies que le tort résultant de cette charge.