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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE IX.

On voit que si l’impôt produit souvent un bien quant à son emploi, il est toujours un mal quant à sa levée. Prétendre qu’il multiplie les produits d’une nation, par cela seul qu’il prélève une partie de ces produits ; qu’il l’enrichit, parce qu’il consomme une partie de ses richesses, c’est tout bonnement soutenir une absurdité ; et en faire la remarque serait une niaiserie, si la plupart des gouvernemens n’agissaient pas conformément à ce prétendu principe, si des ouvrages estimables par les intentions et les connaissances de leurs auteurs, ne cherchaient pas à le prouver[1].

Que si, de ce que les pays les plus chargés d’impôts, comme l’Angleterre, sont en même temps les plus riches, on concluait qu’ils sont riches parce qu’ils paient plus d’impôts, on raisonnerait mal, on prendrait l’effet pour la cause. On n’est pas riche parce qu’on paie, mais on paie parce qu’on est riche. Ce serait pour un homme un plaisant moyen de s’enrichir que de dépenser beaucoup par la raison que tel autre particulier, qui est riche, dépense beaucoup. Il est évident que celui-ci dépense parce qu’il est riche, mais qu’il ne s’enrichit pas par sa dépense.

L’effet se distingue facilement de la cause, quand celle-ci précède l’effet ; mais quand leur action est continue et leur existence simultanée, on est sujet à les confondre.

Les raisonnemens employés pour justifier les gros impôts sont des paradoxes modernes dont les agens du fisc se sont accommodés volontiers, mais qu’un certain bon sens naturel et les meilleurs princes ont toujours repoussés. Ceux-ci ont toujours cherché à réduire les dépenses de l’état. Les princes faibles ou pervers les ont dans tous les temps augmentées. Ils s’entourent de préférence de conseillers intéressés à leur prodigalité. Indépendamment de ceux qui représentent la magnificence comme favorable au bien public, il en est qui, sans prétendre que la dissipation des

  1. C’est un système pareil à celui qui soutient que le luxe et les consommations sont favorables à la production. Il est cependant d’un degré plus mauvais, en ce que le système favorable à la consommation procure au moins quelques jouissances à ceux qui sont chargés du doux emploi de consommer ; au lieu que faire payer des contributions pour obliger le peuple de produire davantage, c’est augmenter les labeurs de la nation pour lui procurer des maux plutôt que des jouissances ; car, si l’extension des impôts permet de soudoyer une administration plus nombreuse, plus compliquée, et dont le faste insulte aux administrés ; si elle permet de lever et d’entretenir plus de gens de guerre, qui enlèvent aux familles leurs plus précieux soutiens et les objets de leurs affections, ce sont effectivement là des maux affreux, qu’on paie aussi chèrement que si c’étaient des jouissances.