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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

été consacré à le construire, et les réparations annuelles auxquelles il donne lieu. Si l’on ne fait aucuns frais d’entretien, on consomme à la fois le service de ce capital représenté par l’intérêt de la somme, et peu à peu, le capital lui-même, puisque lorsque l’édifice sera hors d’usage, non-seulement le service ou le loyer de ce capital sera perdu, mais ce capital lui-même le sera.

Je suppose qu’une digue hollandaise ait coûté, de premier établissement, cent mille francs ; si l’intérêt que cette somme eût rapporté est de cinq pour cent, la digue coûte annuellement cinq mille francs ; et si elle oblige à trois mille francs d’entretien ; elle coûte annuellement huit mille francs.

On peut appliquer ce calcul aux routes, aux canaux. Une route trop large fait perdre chaque année la rente de la terre superflue qu’on y a consacrée, et des frais d’entretien plus forts que ceux qui seraient nécessaires. Plusieurs des routes qui partent de Paris ont 180 pieds de large, compris les bas côtés ; quand elles n’en auraient que 60, leur largeur excèderait encore tous les besoins et pourrait passer pour magnifique, même aux approches d’une grande capitale. Le surplus est un faste inutile. Je ne sais même si c’est un faste ; car une étroite chaussée au milieu d’une large avenue dont les côtés sont impraticables durant la majeure partie de l’année, semble accuser la mesquinerie non moins que le bon sens d’une nation. Il y a quelque chose de pénible, non-seulement à voir un espace perdu, mais mal tenu ; il semble qu’on ait voulu avoir des routes superbes sans avoir les moyens de les entretenir unies, propres et soignées, à l’exemple de ces seigneurs italiens qui habitent des palais qu’on ne balaie point.

Quoi qu’il en soit, il y a le long des routes dont je parle, 120 pieds qu’on pourrait rendre à la culture, ce qui fait pour chaque lieue commune 50 arpens. Maintenant, qu’on mette ensemble le fermage de ces arpens, l’intérêt des frais de confection, et les frais annuels d’entretien de la largeur inutile (qui coûte, quoique mal entretenue), et l’on saura à quel prix la France jouit de l’honneur, qui n’en est pas un, d’avoir des routes deux ou trois fois trop larges, pour arriver à des villes dont les rues sont quatre fois trop étroites[1].

  1. Sur cette largeur perdue dans plusieurs routes de France, le voyageur à pied ne trouve nulle part un trottoir ferré, praticable en tout temps, point de bancs de pierre pour se reposer, point d’abris pour laisser passer un orage, point de fontaines pour se désaltérer : avantages qu’on pourrait se procurer à peu de frais.