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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

Mais tous les degrés de connaissances ne produisent pas pour l’individu un avantage proportionné à celui qu’en retire la société. En traitant des profits du savant, j’ai montré par quelle cause ses talens n’étaient point récompensés selon leur valeur[1]. Cependant les connaissances théoriques ne sont pas moins utiles à la société que les procédés d’exécution. Si l’on n’en conservait pas le dépôt, que deviendrait leur application aux besoins de l’homme ? Cette application ne serait bientôt plus qu’une routine aveugle qui dégénèrerait promptement ; les arts tomberaient, la barbarie reparaîtrait.

Les académies et les sociétés savantes, un petit nombre d’écoles très-fortes, où non-seulement on conserve le dépôt des connaissances et les bonnes méthodes d’enseignement, mais où l’on étende sans cesse le domaine des sciences, sont donc regardées comme une dépense bien entendue, en tout pays où l’on sait apprécier les avantages attachés au développement des facultés humaines. Mais il faut que ces académies et ces écoles soient tellement organisées, qu’elles n’arrêtent pas les progrès des lumières au lieu de les favoriser, qu’elles n’étouffent pas les bonnes méthodes d’enseignement au lieu de les répandre. Long-temps avant la révolution française, on s’était aperçu que la plupart des universités avaient cet inconvénient. Toutes les grandes découvertes ont été faites hors de leur sein ; et il en est peu auxquelles elles n’aient opposé le poids de leur influence sur la jeunesse, et de leur crédit sur l’autorité[2].

Cette expérience montre combien il est essentiel de ne leur attribuer aucune juridiction. Un candidat est-il appelé à faire des preuves ; il ne convient pas de consulter des professeurs qui sont juges et parties, qui doivent trouver bon tout ce qui sort de leur école, et mauvais tout ce qui n’en vient pas. Il faut constater le mérite du candidat, et non le lieu de ses études, ni le temps qu’il y a consacré ; car exiger qu’une certaine instruction, celle qui est relative à la médecine, par exemple, soit reçue dans un lieu désigné, c’est empêcher une instruction qui pourrait être meilleure, et prescrire un certain cours d’études, c’est prohiber toute autre marche plus expéditive. S’agit-il de juger le mérite d’un procédé quelconque, il faut de même se défier de l’esprit de corps.

  1. Liv. II, ch. 7, § 2.
  2. Ce qui a été appelé université par Bonaparte, n’a été qu’un moyen, dispendieux pour les parens et vexatoire pour les instituteurs, d’attribuer à l’autorité publique le privilège exclusif d’endoctriner la jeunesse.