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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

La guerre coûte plus que ses frais ; elle coûte ce qu’elle empêche de gagner. Lorsqu’en 1672, Louis XIV, dominé par son ressentiment, résolut de châtier la Hollande pour l’indiscrétion de ses gazetiers, Boreel, ambassadeur des Provinces-Unies, lui remit un mémoire qui lui prouvait que, par le canal de la Hollande, la France vendait annuellement aux étrangers pour 60 millions de ses marchandises, valeur d’alors, qui feraient 120 millions de ce temps-ci. Cela fut traité de bavardage par la cour.

Enfin ce serait apprécier imparfaitement les frais de la guerre, si l’on n’y comprenait aussi les ravages qu’elle commet, et il y a toujours un des deux partis pour le moins exposé à ses ravages, celui chez lequel s’établit le théâtre de la guerre. Plus un état est industrieux, et plus la guerre est pour lui destructive et funeste. Lorsqu’elle pénètre dans un pays riche de ses établissemens agricoles, manufacturiers et commerciaux, elle ressemble à un feu qui gagne des lieux pleins de matières combustibles ; sa rage s’en augmente, et la dévastation est immense. Smith appelle le soldat un travailleur improductif ; plût à Dieu ! C’est bien plutôt un travailleur destructif ; non-seulement il n’enrichit la société d’aucun produit, non-seulement il consomme ceux qui sont nécessaires à son entretien, mais trop souvent il est appelé à détruire, inutilement pour lui-même, le fruit pénible des travaux d’autrui.

Au reste, le progrès lent mais infaillible des lumières changera encore une fois les relations des peuples entre eux, et par conséquent les dépenses publiques qui ont rapport à la guerre. On finira par comprendre qu’il n’est point dans l’intérêt des nations de se battre ; que tous les maux d’une guerre malheureuse retombent sur elles ; et que les avantages qu’elles recueillent des succès, sont absolument nuls. Toute guerre, dans le système politique actuel, est suivie de tributs imposés aux vaincus par le vainqueur, et de tributs imposés aux vainqueurs par ceux qui les gouvernent ; car qu’est-ce que l’intérêt des emprunts qu’ils ont faits, sinon des tributs ? Peut-on citer dans les temps modernes une seule nation qui, à l’issue de la guerre la plus heureuse, ait eu moins de contributions à payer, qu’avant de l’avoir commencée ?

Quant à la gloire qui suit des succès sans avantages réels, c’est un hochet qui coûte fort cher, et qui ne saurait long-temps amuser des hommes raisonnables. La satisfaction de dominer sur la terre ou sur les mers, ne paraîtra guère moins puérile, quand on sera plus généralement convaincu que cette domination ne s’exerce jamais qu’au profit de ceux qui