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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

en ce que les agens de l’administration ne se multiplieraient pas au-delà de tous les besoins. Cela établirait dans les services rendus au public, cette concurrence si favorable aux particuliers dans les services qu’ils réclament.

Non-seulement le temps et les travaux des administrateurs sont parmi les plus chèrement payés, non-seulement il y en a une grande partie gaspillée par leur faute, sans qu’il soit possible de l’éviter, mais il y en a souvent beaucoup de perdus par une suite des usages du pays et de l’étiquette des cours. Qui pourrait calculer ce que, durant plus d’un siècle, il a été perdu, sur la route de Paris à Versailles, d’heures chèrement payées par le public ?

Les longues cérémonies qui s’observent dans les cours de l’Orient, prennent de même aux principaux fonctionnaires de l’état un temps considérable. Quand le prince a consacré aux pratiques religieuses, aux cérémonies d’usage, et à ses plaisirs, le temps qu’ils réclament, il ne lui en reste pas beaucoup pour s’occuper de ses affaires ; aussi vont-elles fort mal. Le roi de Prusse Frédéric II, au contraire, en distribuant bien son temps et en le remplissant bien, avait trouvé le moyen de faire beaucoup par lui-même. Il a plus vécu que d’autres, morts plus âgés, et il a élevé son pays au rang d’une puissance du premier ordre. Sans doute ses autres qualités étaient nécessaires pour cela ; mais ses autres qualités n’auraient pas suffi sans un bon emploi de son temps.


§ II. — Des Dépenses relatives à l’armée.


Lorsque le commerce, les manufactures et les arts se sont répandus chez un peuple, et que les produits généraux se sont par conséquent multipliés, chaque citoyen ne peut, sans de graves inconvéniens, être arraché aux emplois productifs devenus nécessaires à l’existence de la société, pour être employé à la défense de l’état. Le cultivateur est forcé de travailler non-seulement pour se nourrir avec sa famille, mais pour nourrir d’autres familles qui sont, ou propriétaires des terres et en partagent les produits, ou manufacturières et commerçantes, et lui fournissent des denrées dont lui-même ne peut plus se passer. Il faut, en conséquence, qu’il cultive une plus grande étendue de terrain, qu’il varie ses cultures, qu’il soigne un plus grand nombre de bestiaux, qu’il se livre à une exploitation plus compliquée, et qui l’occupe même dans les intervalles que lui laisse le développement des germes[1].

  1. Les Grecs, jusqu’à la seconde guerre des Perses, et les Romains, jusqu’au siège de Veïes, fesaient leurs expéditions militaires entre les semailles et les moissons. Les peuples chasseurs et pasteurs, comme les Tartares, les Arabes, n’ont presque point d’arts et point d’agriculture, ce qui leur permet de porter la guerre partout où ils trouvent des pâturages et du butin. De là les vastes conquêtes d’Attila, de Gengis-Kan, de Tamerlan, des Arabes et des Turcs.