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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

dont plusieurs n’étaient que des moyens employés pour répandre des gratifications et des faveurs.

Par la même raison, lorsque l’on complique les ressorts de l’administration, on fait payer au peuple des services qui ne sont pas indispensables pour le maintien de l’ordre public : c’est une façon inutile donnée à un produit qui n’en vaut pas mieux pour cela, et qui communément en vaut moins[1]. Sous un mauvais gouvernement qui ne peut soutenir ses empiétemens, ses injustices, ses exaction, qu’au moyen de nombreux satellites, d’un espionnage actif et de prisons multipliées ; ces prisons, ces espions, ces soldats coûtent au peuple, qui certes n’en est pas plus heureux.

Par la raison contraire, un service public peut n’être pas cher, quoiqu’il soit généreusement payé. Si un faible salaire est perdu en totalité quand il est donné à un homme incapable de remplir son emploi, si les pertes que cause son impéritie vont même beaucoup au-delà de son salaire, les services que rend un homme recommandable par ses connaissances et son jugement, sont un riche équivalent qu’il donne en échange du sien ; les pertes dont il préserve l’état, ou les avantages qu’il lui procure, excèdent bientôt la récompense qu’il en reçoit, quelque libérale qu’on la suppose.

On gagne toujours à n’employer, en toutes choses, que les bonnes qualités, dût-on les payer davantage. On n’a presque jamais des gens de mérite à très-bas prix, parce que le mérite s’applique à plus d’un emploi. Il ne faut pas lui donner lieu de se dégoûter d’une carrière où il sent qu’il ne reçoit pas une équitable récompense de ses soins. En administration, la véritable économie consiste à ne pas compliquer les rouages, à ne pas multiplier les places, à ne pas les donner à la faveur, et non à les payer mesquinement.

Il en est de la probité comme du talent. On n’a des gens intègres qu’en les payant. Rien d’étonnant à cela : ils n’ont pas à leur disposition les commodes supplémens que s’assure l’improbité.

Le pouvoir qui accompagne ordinairement l’exercice des fonctions publiques, est une espèce de salaire qui, dans bien des cas excède le salaire en argent qu’on leur attribue. Je sais que dans un état bien ordonné, les

  1. Je pourrais citer une ville de France, très-doucement, très-paternellement administrée avant 1789 pour mille écus, et qui, sous le gouvernement impérial, payait trente mille francs par an pour sa seule administration municipale, qui ne la protégeait pas du tout contre les volontés du prince.