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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

tous ces expédiens, aussi misérables dans leurs produits que nuisibles dans leurs effets, n’ont retardé que de peu d’instans les catastrophes qui assaillent infailliblement les gouvernemens prodigues. Quand on ne veut pas écouter la raison, a dit Franklin, elle ne manque jamais de se faire sentir.

Les bienfaits d’une administration économe réparent heureusement assez vite les maux causés par une mauvaise administration. Ce n’est pas d’abord une santé parfaite : c’est une convalescence où chaque jour voit se dissiper quelque douleur et renaître l’usage de quelque nouvelle faculté. La crainte avait amorti la moitié des faibles ressources qu’avait laissées à la nation une administration dissipatrice : la confiance[1] double celles que fait naître un gouvernement modéré. Il semble que chez les nations, plus encore que chez les individus organisés, il y a une force vitale, une tendance à la santé, qui ne demandent qu’à n’être pas comprimées pour prendre le plus brillant essor. En parcourant l’histoire, on est frappé de la rapidité de cet heureux effet ; dans les vicissitudes que la France a éprouvées depuis la révolution, il s’est manifesté d’une manière bien sensible à tous les yeux observateurs. De nos jours, le successeur du roi de Prusse Frédéric le Grand, dissipa un trésor que ce prince avait amassé, et qu’on portait à 288 millions, et il laissa à son successeur 112 millions

  1. Le public emploie ces expressions : la confiance se perd, la confiance renait, sans s’être bien rendu compte de ce qu’il entend par ce mot confiance. On ne veut pas seulement désigner par là la confiance dans le gouvernement ; car la très-grande majorité des citoyens ou des sujets ne se trouve pas dans le cas de rien confier au gouvernement de ce qui tient à leurs affaires personnelles : on ne veut pas dire non plus la confiance des particuliers les uns envers les autres ; car les particuliers ne perdent pas et ne regagnent pas, en un instant, la confiance de leurs concitoyens. Lorsqu’on se sert de cette expression générale : la confiance est détruite, il paraît qu’il faut entendre par ces mots la confiance dans les événemens. Tantôt on craint des contributions, des spoliations arbitraires, des violences, et cette crainte empêche beaucoup de gens de mettre en évidence leurs personnes ou leurs moyens ; les entreprises les plus favorables, les mieux concertées, deviennent hasardeuses ; on n’ose en former de nouvelles ; les anciennes cessent de donner les mêmes profits ; les négocians restreignent leurs affaires ; tout le monde réduit ses consommations, parce que tous les revenus deviennent moindres et plus précaires. On ne saurait avoir de confiance dans les événemens, quand le gouvernement est entreprenant, ambitieux, injuste ; ou bien, faible, vacillant, sans principes. La confiance est semblable aux cristallisations, qui ne se forment que dans le calme.