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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VI.

tième siècle, ce que peut un prince, même dans un état borné, lorsqu’il introduit dans l’administration la sévère économie des particuliers. Il avait en peu d’années rendu la Toscane un des pays les plus florissans de l’Europe.

Les ministres qui ont gouverné les finances de France avec le plus de succès, Suger, abbé de Saint-Denis, le cardinal D’Ambroise, Sully, Colbert, Necker, ont tous été guidés par le même principe. Tous ont trouvé, dans l’économie exacte d’un simple particulier, les moyens de soutenir de grandes résolutions. L’abbé de Saint-Denis subvint aux frais de la seconde croisade (entreprise que je suis loin d’approuver, mais qui exigeait de puissantes ressources) ; d’Amboise prépara la conquête du Milanais par Louis XII ; Sully, l’abaissement de la maison d’Autriche ; Colbert, les succès brillans de Louis XIV ; Necker a fourni les moyens de soutenir la seule guerre heureuse que la France ait faite dans le dix-huitième siècle[1].

Nous avons toujours vu au contraire les gouvernemens qui se sont laissé dominer par les besoins d’argent, obligés, comme les particuliers, de recourir, pour se tirer d’affaire, à des expédiens ruineux, honteux quelquefois ; comme Charles le Chauve, qui ne maintenait personne dans les honneurs, et n’accordait de sûreté à personne que pour de l’argent ; comme le roi d’Angleterre Charles II, qui vendit Dunkerque au roi de France, et qui reçut de la Hollande deux millions et un quart, pour différer le départ de la flotte équipée en Angleterre en 1680, dont la destination était d’aller aux Indes défendre les anglais qui y étaient écrasés par les Bataves[2] ; comme tous les gouvernemens enfin qui ont fait banqueroute, soit en altérant les monnaies, soit en violant leurs engagemens.

Louis XIV, vers la fin de son règne, après avoir épuisé jusqu’au bout les ressources de son beau royaume, créa et vendit des charges plus ridicules les unes que les autres. On fit des conseillers du roi contrôleurs aux empilemens de bois, des charges de barbiers-perruquiers, des contrôleurs-visiteurs de beurre frais, des essayeurs de beurre salé, etc. Mais

  1. Necker subvint aux dépenses de la guerre d’Amérique sans mettre de nouveaux impôts ; ses ennemis lui reprochèrent les emprunts qu’il fit ; mais qui ne voit que, du moment qu’il n’établit pas d’impôts pour payer les intérêts de ces emprunts, ils ne furent point une nouvelle charge pour le peuple, et que les intérêts en durent être payées sur des économies ?
  2. Voyez l’Histoire des Établissements des Européens dans les Indes, par Raynal, tome II, page 56.