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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

bien à son pays par l’économie de son administration, qu’il ne lui fit de mal par ses guerres.

Si les consommations faites par les nations, ou par leurs gouvernemens, qui les représentent bien ou mal[1], occasionnent une perte de valeurs et par conséquent de richesse, elles ne sont justifiables qu’autant qu’il en résulte pour la nation un avantage égal aux sacrifices qu’elles lui coûtent. Toute l’habileté de l’administration consiste donc à comparer perpétuellement et judicieusement l’étendue des sacrifices imposés, avec l’avantage qui doit en revenir à l’état ; et tout sacrifice disproportionné avec cet avantage, je n’hésite pas à le dire, est une sottise ou un crime de l’administration.

Que serait-ce donc si les folles dépenses des mauvais gouvernemens ne se bornaient pas à dissiper la substance des peuples[2], et si plusieurs de leurs consommations, loin de procurer un dédommagement équivalent, préparaient au contraire des infortunes sans nombre ; si les entreprises les plus extravagantes et les plus coupables étaient la suite des exactions les plus criminelles, et si les nations payaient presque toujours de leur sang l’avantage de fournir de l’argent de leur bourse ?

Il serait triste qu’on appelât déclamations des vérités que le bon sens n’est forcé de répéter que parce que la folie et la passion s’obstinent à les méconnaître.

Les consommations ordonnées par le gouvernement étant une partie importante des consommations de la nation, puisqu’elles s’élèvent quelquefois au sixième, au cinquième, au quart des consommations totales, et même au-delà[3], il en résulte que le système économique embrassé par

  1. J’appelle gouvernement l’ensemble des pouvoirs qui régissent une nation, sous quelque forme que ce soit. C’est à tort, ce me semble, que quelques publicistes n’appliquent ce nom qu’aux chefs du pouvoir exécutif. On gouverne en donnant des lois et en les fesant exécuter ; et ce qu’on appelle pouvoir exécutif, administration, impose en tous pays beaucoup de règles obligatoires qu’on ne saurait distinguer des lois proprement dites.
  2. On a vu, liv. II, chap. 11, que la population se proportionnant toujours à la production, si l’on empêche les produits annuels de se multiplier, on empêche les hommes de naître, et qu’on les massacre en gaspillant des capitaux, en étouffant l’industrie, en épuisant les sources de la production. Sous un mauvais gouvernement, cette cause fait périr beaucoup plus de monde que les guerres, quelque meurtrières qu’on les suppose.
  3. Quoiqu’une nation puisse consommer au-delà de son revenu, ce n’est probablement pas le cas de l’Angleterre, puisque son opulence a évidemment augmenté jusqu’à ce jour. Ses consommations vont donc, au plus, au niveau de ses revenus. Le revenu total de la Grande-Bretagne n’est évalué, par Gentz, qu’à 200 millions sterling ; par Gentz, si partial pour les finances et les ressources de l’Angleterre ! Henri Beeke le porte à 218 millions, en y comprenant pour 100 millions de revenus industriels. Admettons que, par suite des derniers progrès industriels, il ait encore augmenté depuis, et qu’en 1815 la totalité des revenus dans la Grande-Bretagne se soit élevée à 224 millions sterling. Or, nous trouvons dans Colquhoun (On the Wealth of the British empire) que les dépenses du gouvernement, dans cette même année 1815, se sont élevées à 112 millions sterling. À ce compte, les dépenses publiques formaient en Angleterre, à cette époque, la moitié des dépenses totales de la nation. Et encore, les dépenses faites par les mains du gouvernement central, ne comprennent pas la totalité des dépenses publiques, puisqu’elles ne comprennent ni les dépenses communales, ni la taxe des pauvres, ni la dixme forcée que l’on paie pour le clergé anglican, ni les contributions volontaires pour l’entretien des autres cultes, etc. Un gouvernement, même dans de grands états, pourrait être organisé de manière à ne pas consommer la centième partie des revenus généraux d’un pays ; mais cela tiendrait à des perfectionnemens dans la politique-pratique, dont les nations les plus avancées sont encore bien loin.