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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

Dès-lors, le fripon développe toutes les ressources de son méprisable génie ; le chicaneur spécule sur l’obscurité des lois, l’homme en pouvoir vend à la sottise et à l’improbité, la protection qu’il doit gratuitement au mérite et au bon droit. « J’ai vu dans un souper, dit Pline, Paulina couverte d’un tissu de perles et d’émeraudes qui valait quarante millions de sesterces, ce qu’elle pouvait prouver, disait-elle, par ses registres : elle le devait aux rapines de ses ancêtres. C’était, ajoute l’auteur romain, pour que sa petite-fille parût dans un festin chargée de pierreries, que Lollius consentit à répandre la désolation dans plusieurs provinces, à être diffamé dans tout l’Orient, à perdre l’amitié du fils d’Auguste, et finalement à mourir par le poison. »

Telle est l’industrie qu’inspire le goût de la dépense.

Que si l’on prétendait que le système qui encourage les prodigalités, ne favorisant que celles des riches, a du moins le bon effet de diminuer l’inégalité des fortunes, il me serait facile de prouver que la profusion des gens riches entraîne celle des classes mitoyennes et des classes pauvres ; et ce sont elles qui ont plus promptement atteint les bornes de leur revenu ; de telle sorte que la profusion générale augmente plutôt qu’elle ne réduit l’inégalité des fortunes. De plus, la prodigalité des riches est toujours précédée ou suivie de celle des gouvernemens, et celle des gouvernemens ne sait puiser que dans les impôts, toujours plus pesans pour les petits revenus que pour les gros[1].

On a quelquefois tenté de réprimer par des lois somptuaires une vanité insultante et des dépenses ruineuses. Ces lois ont rarement atteint le but qu’elles se proposaient. Quand les mœurs étaient dépravées, on savait les éluder ; elles étaient inutiles dans le cas contraire, et de plus elles portaient atteinte à la propriété. Les fautes des particuliers portent leur châ-

  1. J’ai entendu faire en faveur du luxe ce raisonnement ; car quels raisonnements ne fait-on pas ? Le luxe, en consommant des superfluités, ne détruit que des choses de peu d’utilité réelle, et fait par conséquent peu de tort à la société. Voici la réponse à ce paradoxe : La valeur de la chose consommée par luxe, a dû être réduite par la concurrence des producteurs au niveau de ses frais de production, où sont compris les profits des producteurs. En consommant des objets de luxe, on consomme des loyers de terre, de capitaux, un travail industriel, des valeurs réelles, en un mot, qui auraient été consacrés à des produits d’une utilité réelle, si la demande s’était portée sur ces derniers. Les productions s’accommodent aux goûts des consommateurs.