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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

La consommation improductive embrasse la satisfaction de besoins très-réels. Sous ce rapport, elle peut balancer le mal qui résulte toujours d’une destruction de valeurs ; mais qui balancera le mal d’une consommation qui n’a pour objet la satisfaction d’aucun besoin réel ? D’une dépense qui n’a pour objet que cette dépense même ? D’une destruction de valeur qui ne se propose d’autre but que cette destruction ?

Elle procure, dites-vous, des bénéfices aux producteurs des objets consommés ?

Mais la dépense qui ne se fait pas pour de vaines consommations, se fait toujours ; car l’argent qu’on refuse de répandre pour des objets de luxe, on ne le jette pas dans la rivière. Il s’emploie, soit à des consommations mieux entendues, soit à la reproduction. De toutes manières, à moins de l’enfouir, on consomme ou l’on fait consommer tout son revenu ; de toutes manières, l’encouragement donné aux producteurs par la consommation est égal à la somme des revenus. D’où il suit :

1o Que l’encouragement donné à un genre de production par les dépenses fastueuses, est nécessairement ravi à un autre genre de production ;

2o Que l’encouragement qui résulte de cette dépense, ne peut s’accroître que dans le cas seulement où le revenu des consommateurs s’augmente ; or, on sait qu’il ne s’augmente pas par des dépenses de luxe, mais par des dépenses reproductives.

Dans quelle erreur ne sont donc pas tombés ceux qui, voyant en gros que la production égale toujours la consommation (car il faut bien que ce qui se consomme ait été produit), ont pris l’effet pour la cause, ont posé en principe que la seule consommation improductive provoquait la reproduction, que l’épargne était directement contraire à la prospérité publique, et que le plus utile citoyen était celui qui dépensait le plus !

Les partisans de deux systèmes opposés, celui des économistes et celui du commerce exclusif ou de la balance du commerce, ont fait de cette maxime un article fondamental de leur foi. Les manufacturiers, les marchands, qui n’ont en vue que la vente actuelle de leurs produits, sans rechercher les causes qui leur en auraient fait vendre davantage, ont appuyé une maxime en apparence si conforme à leurs intérêts ; les poètes, toujours un peu séduits par les apparences, et ne se croyant pas obligés d’être plus savans que les hommes d’état, ont célébré le luxe sur tous les tons[1], et les riches se sont empressés d’adopter un système qui repré-

  1. Tous les sujets ne sont pas également favorables aux effets de la poésie ; mais les erreurs n’ont, à cet égard, aucun privilége. Les vers où Voltaire parle du système du monde et des découvertes de Newton sur la lumière, sont d’une exactitude rigoureuse aux yeux des savans, et ne sont pas moins beaux que ceux de Lucrèce sur les rêveries d’Épicure. Plus avancé en économie politique, Voltaire n’eut pas dit :
    Sachez surtout que le luxe enrichit
    Un grand état, s’il en perd un petit.
    Cette splendeur, cette pompe mondaine,
    D’un règne heureux est la marque certaine.
    Le riche est né pour beaucoup dépenser…
    Plus les sciences se répandent, plus les littérateurs sont obligés de s’instruire au moins de leurs principes généraux ; et plus leurs pensées se rapprochent de la vérité, plus elles brillent d’un éclat durable.