Parmi les motifs qui déterminent le plus de consommations privées, il faut ranger le luxe, qui a fourni matière à tant de déclamations, et dont je pourrais peut-être me dispenser de parler, si tout le monde voulait prendre la peine de faire l’application des principes établis dans cet ouvrage, et s’il n’était pas toujours utile de mettre des raisons à la place des déclamations.
On a défini le luxe l’usage du superflu[1]. J’avoue que je ne sais pas distinguer le superflu du nécessaire. De même que les couleurs de l’arc-en-ciel, ils se lient et se fondent l’un dans l’autre par des nuances imperceptibles. Les goûts, l’éducation, les tempéramens, les santés, établissent des différences infinies entre tous les degrés d’utilité et de besoins ; et il est impossible de se servir, dans un sens absolu, de deux mots qui ne peuvent jamais avoir qu’une valeur relative.
Le nécessaire et le superflu varient même selon les différens états où se trouve la société. Ainsi, quoiqu’à la rigueur un homme pût vivre en n’ayant que des racines pour se nourrir, une peau pour se vêtir et une hutte pour s’abriter, néanmoins, dans l’état actuel de nos sociétés, on ne peut pas, dans nos climats, considérer comme des superfluités du pain et de la viande, un habit d’étoffe de laine et le logement dans une maison. Par la même raison, le nécessaire et le superflu varient selon la fortune des particuliers ; ce qui est nécessaire dans une ville et dans une certaine profession, serait du superflu à la campagne et dans une position différente. On ne peut donc pas tracer la ligne qui sépare le superflu du nécessaire. Smith, qui la place un peu plus haut que Steuart, puisqu’il appelle choses nécessaires (necessities), non-seulement ce que la nature,
- ↑ Steuart, Économie politique. Le même auteur dit, dans un autre endroit, que les superfluités sont les choses qui ne sont pas absolument nécessaires pour vivre.