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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

ses successeurs, ou s’il n’a pas été tellement caché qu’on ne puisse le découvrir.

Les prodigues ont grand tort de se glorifier de leurs dissipations. Elles ne sont pas moins indignes de la noblesse de notre nature que les lésineries de l’avare. Il n’y a aucun mérite à consommer tout ce qu’on peut, et à se passer des choses quand on ne les a plus. C’est ce que font les bêtes ; et encore les plus intelligentes sont-elles mieux avisées. Ce qui doit caractériser les procédés de toute créature douée de prévoyance et de raison, c’est, dans chaque circonstance, de ne faire aucune consommation sans un but raisonnable : tel est le conseil que donne l’économie.

L’économie est le jugement appliqué aux consommations. Elle connaît ses ressources et le meilleur emploi qu’on en peut faire. L’économie n’a point de principes absolus ; elle est toujours relative à la fortune, à la situation, aux besoins du consommateur. Telle dépense conseillée par une sage économie dans une fortune médiocre, serait une mesquinerie pour un riche et une prodigalité pour un ménage indigent. Il faut, dans la maladie, s’accorder des douceurs qu’on se refuserait en état de santé. Un bienfait qui mérite la plus haute louange, lorsqu’il est pris sur les jouissances personnelles du bienfaiteur, est digne de mépris, s’il n’est accordé qu’aux dépens de la subsistance de ses enfans.

L’économie s’éloigne autant de l’avarice que de la prodigalité. L’avarice entasse, non pour consommer, non pour reproduire, mais pour entasser ; c’est un instinct, un besoin machinal et honteux. L’économie est fille de la sagesse et d’une raison éclairée ; elle sait se refuser le superflu pour se ménager le nécessaire, tandis que l’avare se refuse le nécessaire afin de se procurer le superflu dans un avenir qui n’arrive jamais. On peut porter de l’économie dans une fête somptueuse, et l’économie fournit les moyens de la rendre plus belle encore : l’avarice ne peut se montrer nulle part sans tout gâter. Une personne économe compare ses facultés avec ses besoins présens, avec ses besoins futurs, avec ce qu’exigent d’elle sa famille, ses amis, l’humanité. Un avare n’a point de famille, point d’amis ; à peine a-t-il des besoins, et l’humanité n’existe pas pour lui. L’économie ne veut rien consommer en vain ; l’avarice ne veut rien consommer du tout. La première est l’effet d’un calcul louable, en ce qu’il offre seul les moyens de s’acquitter de ses devoirs, et d’être généreux sans être injuste. L’avarice est une passion vile, par la raison qu’elle se considère exclusivement et sacrifie tout à elle.

On a fait de l’économie une vertu, et ce n’est pas sans raison : elle sup-