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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

leur vêtement, à leur logement, à leurs plaisirs. Les revenus de chacun, soit qu’ils viennent de ses talens industriels, ou de ses capitaux, ou de ses terres, pourvoient aux diverses consommations qu’exige la satisfaction de ces besoins. La famille accroît ses richesses, ou les perd, ou reste stationnaire, suivant que ses consommations restent en arrière de ses revenus, ou les surpassent, ou les égalent. La somme de toutes les consommations privées, jointe à celles que fait le gouvernement pour le service de l’état, forme la consommation générale de la nation.

De ce que chaque famille, de même que la nation prise en masse, peut, sans s’appauvrir, consommer la totalité de ses revenus, il ne s’ensuit pas qu’elle doive le faire. La prévoyance prescrit de faire la part des événemens. Qui peut répondre de conserver toujours sa fortune tout entière ? Quelle est la fortune qui ne dépende en rien de l’injustice, de la mauvaise foi ou de la violence des hommes ? N’y a-t-il jamais eu de terres confisquées ? Aucun vaisseau n’a-t-il jamais fait naufrage ? Peut-on répondre de n’avoir point de procès ? Ou peut-on répondre de les gagner toujours ? Aucun riche négociant n’a-t-il jamais été victime d’une faillite ou d’une fausse spéculation ? Si chaque année on dépense tout son revenu, le fonds peut décroître sans cesse ; il le doit même, suivant toutes les probabilités.

Mais, dût-il rester toujours le même, suffit-il de l’entretenir ? Une fortune fût-elle considérable, demeure-t-elle considérable lorsqu’elle vient à être partagée entre plusieurs enfans ? Et quand même elle ne devrait pas être partagée, quel mal y a-t-il à l’augmenter, pourvu que ce soit par de bonnes voies ? N’est-ce pas le désir qu’ont les particuliers d’ajouter à leur bien-être, qui, en augmentant les capitaux par l’épargne, favorise l’industrie, rend les nations opulentes et civilisées ? Si nos pères n’avaient pas eu ce désir, nous serions encore sauvages. Nous ne savons pas encore bien à quel point on peut être civilisé par les progrès de l’opulence. Il ne me semble pas du tout prouvé qu’il faille nécessairement que les neuf dixièmes des habitans de la plupart des pays de l’Europe croupissent dans un état voisin de la barbarie, ainsi qu’il est de fait encore à présent.

L’économie privée nous enseigne à régler convenablement les consommations de la famille, c’est-à-dire à comparer judicieusement, en toute occasion, le sacrifice de la valeur consommée, avec la satisfaction qu’en retire la famille. Chaque homme en particulier est seul capable d’apprécier ce sacrifice et cette satisfaction avec justesse ; car tout est relatif à sa fortune, au rang qu’il occupe dans la société, à ses besoins, à ceux de sa