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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

L’autre ne connaît point de bornes ; il s’accroît chez un particulier sans autre motif, sinon qu’il s’accroît chez un autre ; il peut aller ainsi progressivement à l’infini. « L’orgueil, a dit Franklin, est un mendiant qui crie aussi haut que le besoin, mais qui est infiniment plus insatiable. »

Satisfaction pour satisfaction, la société, considérée en masse, trouve mieux son compte à celle qui pourvoit à des besoins réels, qu’à celle qui contente des besoins factices. Que les besoins d’un riche fassent produire et consommer des parfums exquis, et que les besoins d’un pauvre fassent produire un habit chaud dans une saison rigoureuse : dans l’un et l’autre cas, des besoins auront provoqué la production et la consommation de deux richesses qu’on peut supposer égales ; mais dans le premier cas, la société aura obtenu en échange un plaisir futile, court, à peine senti ; et dans le second, un bien-être solide, durable, précieux[1].

2o Les consommations lentes plutôt que les consommations rapides, et celles qui choisissent de préférence les produits de la meilleure qualité. une nation et des particuliers feront preuve de sagesse, s’ils recherchent principalement les objets dont la consommation est lente et l’usage fréquent. C’est par cette raison qu’ils auront un logement et des ameublemens commodes et propres ; car il est peu de choses qui se consomment plus lentement qu’une maison, ni dont on fasse un usage plus fréquent, puisqu’on y passe la majeure partie de sa vie. Leurs modes ne seront pas très-inconstantes ; la mode a le privilége d’user les choses avant qu’elles aient perdu leur utilité, souvent même avant qu’elles aient perdu leur fraîcheur : elle multiplie les consommations, et condamne ce qui est encore excellent, commode et joli, à n’être plus bon à rien. Ainsi la rapide succession des modes appauvrit un état de ce qu’elle consomme et de ce qu’elle ne consomme pas.

Il vaut mieux consommer les choses de bonne qualité, quoique plus chères ; en voici la raison : dans toute espèce de fabrication, il y a certains frais qui sont les mêmes et qu’on paie également, que le produit soit bon ou bien qu’il soit mauvais : une toile faite avec de mauvais lin a exigé, de la part du tisserand, du marchand en gros, de l’emballeur, du voitu-

  1. Ce second cas est celui où le riche place à intérêt l’argent qu’il aurait pu dépenser en frivolités. Pour qu’on puisse lui en payer l’intérêt, il faut qu’on l’emploie reproductivement ; dès-lors il sert en partie à l’entretien de la classe laborieuse ; la destruction de richesse est la même, mais elle est échangée contre des satisfactions plus solides.