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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE I.

mation est rapide ; telle autre est lente. On consomme une maison, un navire, du fer, comme on consomme de la viande, du pain, un habit. On peut même ne consommer un produit qu’en partie. Un cheval, un meuble, une maison qu’on revend, ne sont pas consommés en totalité, puisqu’il leur reste un débris de valeur qu’on retrouve dans le nouvel échange qu’on en fait. Quelquefois la consommation est involontaire : tels sont l’incendie d’un édifice, le naufrage d’un navire ; ou bien elle ne répond pas au but qu’on s’était proposé en créant le produit, comme dans le cas où l’on jette des marchandises à la mer, où l’on brûle des provisions qu’on ne veut pas laisser à l’ennemi.

On peut consommer une valeur anciennement produite ; on peut la consommer à l’instant même qu’elle est produite, ainsi que le font les spectateurs d’un concert, d’une représentation théâtrale. On consomme du temps, du travail, puisqu’un travail utile a une valeur appréciable, et ne peut plus se consommer de nouveau lorsqu’il a déjà été consommé une fois.

Ce qui ne peut perdre sa valeur n’est pas susceptible d’être consommé. On ne consomme pas un fonds de terre, mais on peut consommer son service annuel, et ce service, une fois employé, ne peut être employé une seconde fois. On peut consommer toutes les améliorations ajoutées à un terrain, quoiqu’elles excèdent quelquefois la valeur du terrain, puisque ces améliorations sont les produits de l’industrie ; mais le terrain ne saurait se consommer.

Il en est de même d’un talent industriel. Je peux consommer une journée d’ouvrier, mais non le talent de l’ouvrier. Les facultés industrielles sont néanmoins détruites par la mort de celui qui les possède.

Tout ce qui est produit est tôt ou tard consommé. Les produits n’ont même été produits que pour être consommés ; et lorsqu’un produit est parvenu au point de pouvoir subir sa destinée, et que sa consommation se diffère, c’est une valeur qui chôme ; or, comme toute valeur peut être employée à la reproduction et rapporter un profit à son possesseur, tout produit qui ne se consomme pas, occasionne une perte égale au profit, ou, si l’on veut, à l’intérêt que rapporterait sa valeur, utilement employée[1].

  1. Les valeurs qui, tôt ou tard, ne se consomment pas utilement, sont peu importantes ; de ce nombre sont les provisions qui se gâtent, les produits détruits par accident, et ceux qui cessent d’être en usage, et dont la valeur se dissipe sans avoir été employée, parce que le besoin qui fondait leur valeur a cessé. Les valeurs enfouies ou cachées ne sont ordinairement soustraites à la consommation que pour un temps ; elles se retrouvent, et celui qui les trouve est toujours intéressé à en tirer parti : pour cela, il faut les consommer. Il n’y a, dans ce cas, de perdu que le profit qu’elles auraient pu rendre durant l’espace de temps perdu, profit dont l’intérêt de la somme donne la mesure. On en peut dire autant des petites valeurs mises successivement en réserve jusqu’à ce qu’elles montent assez pour faire un placement. La multiplicité des épargnes rend considérables les capitaux oisifs de cette manière. On évite une partie des pertes qui résultent de cette oisiveté, par des droits de mutation très modérés, des facilités pour toute espèce de circulation, des caisses de placemens dignes de toute confiance, et d’où chacun puisse retirer ses capitaux en tout temps, etc. Dans les troubles publics et sous des gouvernemens arbitraires, beaucoup de gens préfèrent garder des valeurs mortes, qui ne leur rapportent ni jouissances ni profits, au danger de les mettre en évidence. Une bonne administration éloigne tout-à-fait un pareil inconvénient.